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Critique de estrella_oscura


Il était plutôt du genre bougeon, Nicolas Bouvier. le genre à ne pas rester en place, à considérer que l'on voyage pour "que la route vous plume, vous rince, vous essore, vous rende comme ces serviettes élimées par les lessives qu'on vous tend avec un éclat de savon dans les bordels. "
Pourtant, tout comme je l'ai fait avec Sylvain Tesson, autre écrivain voyageur invétéré, ce n'est pas par le récit d'un de ces voyages physiques que j'ai abordé le sieur Bouvier - ç'aurait été trop évident, n'est-ce pas ? J'ai plutôt choisi de l'attaquer (avec quelques autres acolytes lecteurs) à travers les mots d'un périple différent, étrange et pénétrant pour qui a l'habitude de se réveiller perpétuellement à un endroit et se coucher à un autre : le voyage immobile.

Au milieu des années 50, Nicolas Bouvier vient de gambader durant deux ans dans toute l'Asie. Il en a soupé, il en a chié, il a les semelles qui collent aux cailloux mais il s'en est mis plein la tête et les yeux. le poisson scorpion s'ouvre sur le jour de son départ de l'Inde, qu'il quitte pour le Sri Lanka, autrefois appelé Ceylan. Très peu par envie et fortement par nécessité médicale, il y restera plusieurs mois et en profitera, malgré la chaleur démoniaque, pour mener à bien divers travaux d'écriture dont ce journal qu'il publiera plusieurs décennies plus tard.

De son départ enlevé et plein d'une clairvoyance de connaisseur, le récit glisse progressivement vers une version tropicale du spleen baudelairien, assorti de quelques hallucinations maladives. Souffrant de ces affections locales que sont le paludisme et l'amibiase, Bouvier nous livre ses observations maniaques de la pléthore d'insectes qui peuplent sa chambre et ses rencontres avec un prêtre fantôme. Lui qui a toujours bougé, il semble vivre cette immobilité dans un douleureux état de prisonnier possédé.
Qu'à cela ne tienne, il décortique, il passe au scalpel de l'humour et du regard aiguisé ces facétieuses aventures hallucinatoires (qui ne devaient, néanmoins, par être une partie de plaisir). Il les presse jsqu'à la moëlle et tant qu'à faire, vit cette traversée du désert à fond les ballons. C'est précisément avec cet instinct de promeneur qu'il parviendra à dépasser cette étape (qui le conduira ensuite au Japon) et dans le tourbillon, il saisit la substantifique moëlle de l'existence - un voyage que le mouvement, peut-être, ne permet pas de comprendre aussi bien que l'immobilité et la solitude :

"Derrière ce dénuement terrifiant, au-delà de ce point zéro de l'existence et du bout de la route il doit encore y avoir quelque chose. Quelque chose de pas ordinaire, un vrai Koh-i-Nor, c'est certain pour être à ce point gardé et défendu. Peut-être cette allégresse originelle que nous avons connue, perdue, retrouvée par instants, mais toujours cherchée à tâtons dans le colin-maillard de nos vies."

J'ajouterai qu'outre un récit enrichissant et décoiffant pour le lecteur, cet ouvrage est également un pur bijou littéraire où le style, nom de Dieu, est tout simplement extraordinaire ! Une parfait syncrétisme ciselé de drôlerie, de perspicacité, d'érudition et de sagesse profane. Il m'est arrivé à de nombreuses reprises de relire plusieurs fois un même paragraphe tant la langue était délicieuse (et un tel blocage d'admiration m'arrive rarement).
A l'instar de l'auteur lui-même qui disait que "fainéanter dans un monde neuf est la plus absorbante des occupations", j'ai sacrément fainéanter dans son monde à lui et je confirme que c'était un de mes plus beaux voyages.





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