Pour se détacher de la foule des arrivistes, des gens sans conscience, qu’il sentait grouiller autour de lui dans les antichambres de ces officines, il résolut d’acquérir des connaissances techniques dans une spécialité. Au lieu de s’éparpiller dans toutes les voies, il se dirigerait vers un seul but, usant, pour l’atteindre, de toutes ses forces. Alors, son expérience et ses capacités le rendraient indispensable et les capitaux viendraient tout seuls. Les mots « stage, capacité, spécialisation » revenaient à ce moment continuellement sur ses lèvres. Il n’avait plus qu’un désir : passer par tous les échelons d’un métier qu’il n’avait plus qu’à choisir.
À mesure qu’elle devenait plus élégante, il osait de moins en moins sortir en sa compagnie. Un bonheur âpre était en son cœur de sentir qu’il était le dispensateur de cette vie joyeuse et de cette insouciance. Par une sorte de besoin d’humiliation, il faisait en sorte de se vêtir de plus en plus modestement, de se refuser les moindres distractions, de s’épuiser dans le travail, pour que le contraste entre la vie de sa femme et la sienne fût plus grand.
Pour remédier à son manque de savoir, il s’imposa de lire tous les manuels, toutes les grammaires, tous les livres qui lui tombaient sous la main. Une admiration profonde croissait en lui pour ce monde inconnu qui écrivait, pour les journalistes, pour les orateurs. La pensée de les approcher était loin de son esprit. Ce qu’il désirait ardemment, c’était simplement de pouvoir soutenir avec eux une conversation, de ne les choquer en rien.
« Croyez-moi si vous le voulez ! » Le besoin d’être cru, de prouver ce qu’il avançait, était si impérieux en lui que, pour la première fois (devant l’impuissance de convaincre qui que ce fût, impuissance qui jusqu’à présent ne lui était jamais apparue mais qui, au moment de pénétrer dans un monde plus vaste, se révélait comme une tare), il eut conscience de sa faiblesse et de son ignorance.
Il avait remarqué que sa femme négligeait son intérieur, mais il ne le lui reprochait pas. Il était heureux qu’elle sortît, qu’elle eût toujours l’air pressée, car c’était à ses yeux les signes à quoi l’on reconnaissait une femme de la bonne société.
Courte vidéo autour de l'auteur de Mes amis, Emmanuel Bove, un pilier de L'Arbre vengeur.