Elle est à moi, me dit mon bras valide en la rapprochant de mon corps.
Elle est à moi, me doit ma bouche tandis que je la laisse m'embrasser.
Elle est à moi, me dit la main de Sophie en me masturbant comme une reine.
Pour la première fois depuis des années, je m'introduis dans une femme. Ma femme.
Un chœur d’anges chante un alléluia quand ses hanches se pressent contre les miennes.
En sortant de prison, les gens me disaient de « me tenir à l’écart des embrouilles». Mais t’es censé faire quoi, putain, quand les embrouilles te tombent dessus.
L’hiver est magnifique dans le Vermont. J’avais oublié à quel point notre ville est ravissante dès que les porches se couvrent d’un peu de neige et que les lumières de Noël scintillent dans les arbres.
Je ne serais jamais rentré si j’avais pu faire autrement.
J’étais tellement fier de la manière dont je réussissais à séparer mes deux amours l’un de l’autre, la drogue et ma copine.
Dépasser les limitations de vitesse est inenvisageable. Quand ton père est le chef des officiers de police, c’est une mauvaise idée de violer le code de la route. Je ne suis pas complètement contre un petit écart avec la loi, mais ça me coûte trop par la suite. Les officiers adorent me balancer à papa.
Voilà où en est le cours de mes pensées à l’instant où je freine au stop, à l’angle des rues Harvey et Grove. Du coin de l’œil, je perçois un mouvement au niveau des portes vitrées de la boutique Nickel Auto Body Shop.
Je regarde. (Évidemment je regarde. N’importe qui ferait de même.) Mais je ne m’attendais vraiment pas à le voir lui, ici, debout à côté d’une Dodge cabossée surélevée sur la plate-forme de réparations. Et même à l’instant où ma gorge se contracte pour émettre l’unique, le terrible mot qui me monte aux lèvres – Jude –, je n’y crois qu’à moitié.
Parce qu’il est impossible qu’il se tienne là, dans le garage, à effleurer d’une main sereine la carrosserie d’une immonde voiture.
Merci de m’avoir sauvée ce soir.
Je vois tant de vulnérabilité dans son doux visage que j’ai du mal à formuler une réponse. Je me racle la gorge :
– Je sais que j’ai tout fait foirer, Soph. Mais si tu as besoin de mon aide un jour, il n’y a vraiment pas une seule chose au monde que je ne ferais pas pour toi.
Même en chuchotant, ma voix se brise.
Sophie a les larmes aux yeux. Elle met sa main sur la poignée de la portière.
– Bonne nuit, Jude.
Je ne me sens pas la force de lui répondre, donc je me contente de tendre la main pour dégager une mèche de cheveux de son visage.
C’est là l’erreur fatale. Parce que tout change à l’instant où je l’effleure. La joue soyeuse et fraîche de Sophie atterrit dans la paume de ma main. Je frissonne à son contact, et Sophie s’en aperçoit. Ses yeux plongent dans les miens. Ses lèvres roses s’entrouvrent et elle mord sa lèvre inférieure.
L’embrasser à ce moment-là ne relève pas d’une décision. C’était inévitable, comme le tonnerre succède à l’éclair. On se penche en même temps l’un vers l’autre. Je ferme les yeux pour ne pas voir le frisson de stupeur qui parcourt son visage. Mais mon aveuglement n’y change rien. Sophie. Nos lèvres se frôlent dans un soupir? Puis ma bouche fond sur la sienne. Je l’embrasse si lentement. Une fois. Puis une autre. Et même dans ce nuage de désir, je sais que je dois mémoriser chaque seconde qui passe.