- Soixante ans, c'est le pied, avait-elle confié à Jeanie un jour où elles prenaient le thé. Plus personne ne se préoccupe de toi, tu deviens presque invisible, surtout si tu es une femme. J'aime y penser comme à une troisième vie. Il y a l'enfance, l'âge adulte avec le travail, la famille, les responsabilités, et puis quand tout le monde pense que ta vie est terminée et que tu n'es plus qu'un vieux débris, tu es libre ! Tu peux enfin être celle que tu es vraiment et faire ce que tu veux et pas ce qu'on attend de toi ou ce que tu crois que tu devrais faire.
— Balançoire… Balançoire… Viens. Libérée de la poussette, Ellie se dirigea directement vers les balançoires. Jeanie savait que cela pouvait durer des heures : sa petite-fille tombait presque en transe et criait à sa grand-mère « plus haut, plus haut », si celle-ci faisait mine d'arrêter.
Ce jour-là, pourtant, son jeu ne l'intéressait pas. Elle était fascinée par le petit garçon et son père. Un grand sourire aux lèvres, elle observait leurs singeries. Lâchant brusquement la poignée bleue du tourniquet, le garçonnet se mit à courir à travers l'aire de jeux détrempée pour récupérer son ballon, coupant la trajectoire de la balançoire d'Ellie. Jeanie entendit quelqu'un crier « Dylan » au moment où elle attrapait sa petite-fille pour l'immobiliser, alors que l'imprudent poursuivait allégrement son chemin, inconscient du danger auquel il venait miraculeusement d'échapper.
— Dylan !
C’est comme le bus, on attend pendant des heures et puis il y en a deux qui arrivent en même temps
Elle ne pouvait jamais s'empêcher de répondre à ses stupides questions avant de se rappeler qu'elle lui donnait ainsi l'impression que son anxiété était fondée.
Une fois de plus, il avait refusé de la croire, ignorant ses sentiments pour l'enfermer dans un mensonge. Il l'avait entendue, elle le savait, elle avait lu la douleur dans ses yeux. Pourtant, c'est comme si rien n'avait changé.