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Critique de mesrives


Karin Boye, romancière et poétesse, nous propose dans sa dernière oeuvre ( elle s'est suicidée quelques mois après sa publication en 1940), kallocaïne roman du XXI ème siècle, un roman dystopique, situé chronologiquement entre le meilleur des mondes (Huxley 1932) et 1984 (Orwell, 1949).

Dès les premières pages, le projet (et son contenu) nous est délivré par le narrateur :
Leo Kall, professeur de chimie, nous annonce qu'il entreprend l'écriture d'un récit, celui de sa vie, depuis qu'il n'est plus un homme libre et qu'il évolue dans une société sécuritaire et déshumanisée d' un état totalitaire.

Les citoyens ne sont plus que des prisonniers, des camarades-soldats qui constituent un réservoir de main d'oeuvre corvéable à merci.
Leur vie professionnelle, domestique et privée est sous le contrôle total des différents organismes d'État (présence d'une assistante domestique en famille, obligation d'un Service Militaire quasi-journalier, enrôlement des enfants avec les camps de jeunesse …).
Chaque camarade-soldat est sous surveillance : la délation d'autrui ou de son voisin voire de son époux ou épouse est considéré comme un acte civique !

L'État Mondial considère les êtres vivants non comme des êtres humains mais comme des cellules d'un organisme (l'État étant cet organisme) et tout est fait pour que ces cellules restent saines !

Dans cet univers, notre professeur met au point un produit « révolutionnaire », une drogue (sérum de vérité) : la Kallocaïne. Celle-ci une fois injectée permet de libérer les pensées personnelles pour connaître ainsi toute la vérité : essentiel quand un Etat organise la traque aux traîtres de l'esprit !

Fort de sa trouvaille, Léo Kall arrive à contacter, en respectant scrupuleusement la hiérarchie, l'instance de Police compétente et à faire adopter sa découverte tant et si bien que bientôt une loi contre les crimes de l'esprit est adoptée et appliquée.

Les tourments de notre narrateur commencent alors (après avoir testé légalement la Kallocaïne sur des camarades-soldats affectés au Service des Sacrifices Volontaires et illégalement sur son épouse)  et, les doutes grandissent : une communauté différente existerait et le signe de reconnaissance serait le silence…

J'ai été particulièrement sensible aux réflexions de Linda, l'épouse du professeur Kall.
Elle développe la progression de ses idées face à la notion de maternité, de l'amour filial (bien sûr intolérable et interdite dans l'Etat mondial) et fait part à son mari de son cheminement intellectuel, car c'est avec sa troisième grossesse qu'elle en sera pleinement consciente.

A sa première grossesse, en tant que « citoyenne loyale », elle considère avoir fait son travail en donnant la vie à un garçon, un futur camarade- soldat (bien sûr officiellement les femmes sont les égales des hommes mais tant qu'elles sont indispensables à la reproduction…).

«  A la naissance d'Ossu, j'étais encore une mère entièrement dévouée à l'État, qui n'enfantait que pour lui. A celle de Maryl, j'étais devenue une femelle sauvage, avide et égoïste, qui portait son bébé pour elle-même avec la certitude d'avoir un droit légitime sur lui. »
« J'attendais mon troisième enfant, mais j'avais la sensation de n'avoir saisi jusque là ce que cela signifie de donner la vie. Je ne me percevais plus comme une machine reproductrice trop coûteuse, ni comme une propriétaire avide, alors qu'étais-je ? Je n'en sais rien »


Cette oeuvre de Karin Boye écrit dans un contexte international tendu et grave (nazisme, totalitarisme soviétique) reste aujourd'hui toujours aussi percutante et transposable : elle nous amène à réfléchir sur le sens et l'éthique de nos sociétés modernes.

Je ne suis pas une adepte des dystopies, c'est un genre vers lequel je me tourne exceptionnellement, mais j'ai trouvé celle-ci très intéressante, et j'avoue qu'elle est très efficace.

Un roman qui donne donne envie d' hurler face à la bête, effrayant !

A noter que cette réédition d'Hélios bénéficie d'une nouvelle traduction réalisée par Léo Dhayer .

A découvrir de toute urgence (vu l'état... d'urgence)!
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