Boyer d'Argens, romancier et philosophe, fut fort lu et apprécié à son époque : déiste convaincu, digne représentant des Lumières, il finit sa vie auprès de l'empereur Frédéric le grand qui l'appela à sa cour où
Voltaire, un ami, l'avait précédé. le destin est cependant bien cruel : ce contempteur de l'obscurantisme a rejoint dans l'obscurité la cohorte des auteurs oubliés du XVIIIe s.
Si aujourd'hui, on évoque son nom c'est pour "Thérèse philosophe" (dont il n'est pas entièrement certain qu'il soit de sa main), un opuscule pornographique qui annonce, quelques cinquante années avant, l'oeuvre du Divin Marquis.
Il est très réjouissant de suivre le cheminement de Thérèse, la jeune narratrice, dans son éducation morale et sexuelle. La première partie est brillante où nous découvrons une jeune fille avide de raison et de plaisir mais qui a bien des difficultés à discerner le vrai du faux, le bien du mal. Après avoir échappé de peu aux griffes d'un prêtre libidineux (Ah, les jeunes filles et l'autorité religieuse!), c'en est un autre, libertin mais honnête, qui lui montrera la voie à suivre : "Il n'y a de bien et de mal moral que par rapport aux hommes : rien par rapport à Dieu". La charmante Thérèse, "manu militari", commencera donc une longue carrière masturbatoire, persuadée que se faire du bien à soi, ne peut nuire à quiconque.
Dans la seconde partie, Thérèse fait la connaissance de Mme Bois-Laurier, ancien "gentil Fragonard (qui) fit ses premières saisons de bouic en bobinard, de bousbir en boxon" (emprunt à la chanson "Alice et Alfred", Jean Guidoni - Pierre Philippe). Celle-ci lui raconte sa vie de libertine de profession. Rien de bien original : on y retrouve des turpitudes déjà lues ailleurs (dans "Margot la ravaudeuse", par exemple) et avec autant sinon plus de talent ou de style.
Mais ce long échange d'impressions sur les hommes et le sexe permettront à Thérèse de rencontrer le Comte de... à qui elle donnera son pucelage, son amour et ses plus belles années, tout en se mettant à l'abri d'en avoir un enfant.
Le récit se termine par une "curieuse réflexion de Thérèse pour prouver que les principes renfermés dans son livre doivent contribuer au bonheur des humains", sorte de petit catéchisme à l'usage des jeunes filles et des jeunes garçons.
Comme
Sade plus tard,
Boyer d'Argens alterne scènes explicites et plaidoyers philosophiques : on le découvre féministe, ardent défenseur du "Mon corps m'appartient", anticlérical ("Il n'y a point de culte, Dieu se suffit à lui-même") et thuriféraire de l'amour libre. Son héroïne et son amant feront même le choix, bien surprenant pour l'époque, de se soustraire et au mariage et à la conception.
Avouons que ce petit roman convient bien à notre époque, de plus en plus gourmée et qu'il est une rafraîchissante adresse "à ces sots, à ces machines lourdement organisées, à ces espèces d'automates accoutumés à penser par l'organe d'autrui, qui ne font telle ou telle chose que parce qu'on leur dit de les faire."