Une autre découverte phénoménologique est encore réservée à Irina : celle de sa propre amnésie, que le romancier Kundera lie indissolublement à la nostalgie : ''La nostalgie n'intensifie pas l'activité de la mémoire, elle n'éveille pas de souvenirs, elle se suffit à elle-même, à sa propre émotion, tout absorbée qu'elle est par sa seule souffrance.''
Milan Kundera attire les jugements tranchés passionnels (j'aime, je déteste) auxquels prédispose sa propre absence de tiédeur (certains diront, avec moins d'euphémismes, le paradoxal esprit de sérieux de celui qui, avec Rabelais, et en romancier, pourfend les « agélastes»: littéralement, ceux qui ne rient pas). C'est pourtant à une révision des a priori, qu'ils soient trop hagiographiques ou trop défiants par principe, qu'on aimerait contribuer dans cet ouvrage, tout en montrant combien Kundera a redéployé fondamentalement la question de 1'identité et des limites du romanesque contemporain. Une invitation à relire une œuvre pour ceux qui croient la connaître ou en redoutent le drapé, un appel à soulever le rideau de tous les préjugés de lecture.
''Quand je parle français, rien n'est facile, aucun automatisme verbal ne me vient en aide. Chaque phrase est conquête, performance, réflexion, invention, aventure, découverte, surprise et chaque tournure revendique ma totale présence d'esprit. Le français ne remplacera jamais la langue de mes origines; c'est la langue de ma passion.'' (Journal de Genève, 17-18 janvier 1998).