Car Ingres, qui inspira à ses élèves de ces grandes compositions murales qu’il n’aurait pas la puissance imaginatrice de composer pour son compte, semblait avoir formulé de préférence, pour le préféré de ses disciples, cette devise qu’Hippolyte Flandrin réalisa si fidèlement dans ses œuvres, aussi didactiquement dessinées qu’idéalement peintes :
— Le dessin est la probité de l’art.
Cette prose magistrale, qu’Ingres semble tant regretter dans son éducation littéraire quand il écrit, le 27 février 1826 : « Je rougis de manquer, à chaque instant, à la qualité et à la bonne orthographe des phrases, et j’enrage de mon éducation mal négligée sur ce point dont tant d’autres, même médiocres, jouissent : d’ailleurs, il paraît que les études que j’aurais pu donner à ces qualités ne m’auraient servi de rien, car toute mon intelligence s’est réfugiée sur tout ce qui est instinct » ; cette bonne prose, qui est, en art pictural, le bon dessin, Ingres l’apprend à ses élèves en professeur incomparable et supérieur à l’inspiration même dont sa norme, trop réfléchie pour un poète d’improvisation, a fait aisément le sacrifice.
Cependant, à droite, arrive la majestueuse figure d’Astrée, avec ses divines balances. Des hommes sont groupés autour, et elle leur dit : « Tant que vous imiterez la justesse de cet instrument, vous serez heureux. »
Peut-être ignorent-ils encore la plus importante portion de cette curieuse correspondance où le maître a raconté la plus sincère vie d'un artiste à ses trois élèves préférés et montalbanais comme lui, Jean Gilbert, Prosper Debia et Armand Gambon. Nous aurons donc l'honneur de les introduire, avec ce livre, dans ces foyers de famille très fermés et d'amitiés très fidèles qui nous ont conservé, d'Ingres, ce qu'il a fait de meilleur en sa longue carrière de maître, tour à tour triomphant et battu, et de lion rugissant d'orgueil sur ses victimes ou de douleur sur ses propres blessures, le peu qui reste d'un grand homme ici-bas, — un paquet de lettres jaunies, où il confesse avec sincérité, comme tout autre homme, sa gloire d'avoir tant oeuvré et sa tristesse de n'en laisser que la périssable mémoire.
La louange pale d’une belle chose est une offense.