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Critique de sebthoja


L'audacieux monsieur Swift, l'irrésistible manipulateur de John Boyne

Aucun talent et encore moins d'imagination pour écrire un roman, Maurice Swift n'en manque pourtant pas pour manipuler par la séduction les désirs de ceux qui l'entourent. D'une beauté affolante, son corps enflamme aussi bien les hommes que les femmes, qui ne sont pour lui rien d'autre que des proies pour assouvir son besoin irrépressible de devenir écrivain. Comment l'appropriation permet d'exister par le simple exercice de la fascination. Un sentiment troublant et communicatif à la lecture de ce roman attirant comme un aimant.

C'est au bar de l'Hôtel Savoy, à Berlin-Ouest que l'opération séduction commencera. Jeune serveur de 22 ans à la beauté éclatante de jeunesse et de vitalité, Maurice ne pouvait que reconnaître Erich Ackerman accoudé au comptoir, tant il suit les actualités littéraires. Cet homme âgé de 66 ans, auteur de six courts romans et d'un recueil de poèmes est pourtant inconnu du public. Un succès critique relatif qui a fini par se concrétiser, après trente-cinq ans de carrière, par un prix littéraire de renommée internationale pour cet écrivain de la solitude et des désirs inassouvis. Véritable ascète du plaisir, il préfère se tenir éloigné de toutes les tentations depuis déjà longtemps et n'explique sa présence dans cet hôtel luxueux que par l'obligation de son éditeur de faire une tournée mondiale.
Mais la consécration de l'effort de toute une vie est aussi l'occasion des remises en cause, et les pensées de cet homme qui s'est consacré toute sa vie à l'écriture n'auront bientôt plus d'yeux que pour « le sillon délicat au milieu de la poitrine » du jeune homme qu'il entrevoit par sa chemise entrouverte ou par ses chevilles nues qu'il aperçoit dans ses chaussures.
Maurice est-il conscient de son pouvoir de séduction ? Au départ la question n'est pas là, car le récit est tout entier tourné vers la fascination qu'il exerce : la façon dont l'écrivain mature introduit Maurice Swift dans les cercles intellectuels ou comment il se confie à ce séduisant jeune homme, jusqu'à lui avouer des secrets encore inavoués. Une séduction, il faut bien le dire, qui transpire à la lecture de ce roman habile.

Tout l'intérêt du nouveau roman de l'auteur du Garçon au pyjama rayé et plus récemment des Fureurs invisibles du coeur est dans la description de cette séduction irrésistible qui parait bien vite aussi dangereuse qu'elle est attrayante. La menace du désir quand celui-ci est utilisé dans le but d'une manipulation cynique et sans scrupule. Car Erich Ackerman ne sera bien sûr que la première victime de Maurice Swift, dont il se débarrassera dès qu'elle ne lui sera plus utile. Il s'agit d'aborder ensuite la décontamination longue et difficile de cette personne toxique qui hantera ses conquêtes capturées dans ses filets pendant de longues années et parfois même jusqu'à la mort. Mais il s'agit aussi de la question de la responsabilité, car toutes sont consentantes et le désirent, le fantasment ou l'aiment ardemment. Son attrait magnétique semble aussi indomptable que les pulsions sexuelles qui étreignent tous les membres de la famille bourgeoise milanaise dans le Théorème de Pasolini. La lutte des classes en moins. Et en lieu et place du foyer traditionnel, la grande famille de la création et de l'édition. Car au fond qu'est-ce-qu'écrire ? D'où viennent les idées ? À qui appartiennent-elles ? Comment et pourquoi deviennent-elles des livres ? Les passages mettant en scène le sulfureux Gore Vidal face aux gesticulations du jeune arriviste sont à ce sujet particulièrement réussis. Mais il manque peut-être ce petit supplément d'âme que l'on pouvait trouver dans le film de Pasolini : un sens sociologique ou politique, car au fond Maurice Swift n'est l'expression de la frustration de quelqu'un qui a « voulu quelque chose toute sa vie sans avoir été assez bon pour l'avoir. »
Un roman d'une efficacité incontestable pour apporter un plaisir de lecture au trouble délicieusement fascinant.
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