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Critique de boudicca


451 degrés Fahrenheit : où la température à laquelle un livre s'enflamme et se consume. Voilà bien une vision ayant de quoi donner des sueurs froides à n'importe quel bibliophile, et c'est justement sur cette peur qu'entend jouer le regretté Ray Bradbury qui nous rappelle brillamment ici un constat d'une grande simplicité mais que l'on a malheureusement aujourd'hui une fâcheuse tendance à oublier : notre société ne saurait se passer de livres ni d'écrivains. Soixante ans après la parution de ce roman que tous s'accordent aujourd'hui à élever au rang des plus grands classiques de la science-fiction, la puissance du message qu'il véhicule demeure toujours aussi forte, et son contenu autant d'actualité qu'en 1953. « Fahrenheit 451 » n'accuse donc pas son âge, que ce soit sur le fond comme sur la forme grâce à la toute nouvelle traduction dernièrement réalisée par Jacques Chambon. Aucune excuse, donc, pour ne pas se lancer et pleinement apprécier la qualité de l'ouvrage de Bradbury qui nous plonge dans une société du future où la lecture, source de beaucoup trop de questionnements dérangeants et de contradictions, est devenu un acte prohibé par la loi. Pour faire rentrer les plus réfractaires dans le rang : un corps spécial de pompiers dont la fonction a été dénaturée et consiste désormais à brûler les livres et ainsi veiller à la tranquillité d'esprit de la société.

Fortement inspiré du contexte de psychose anticommuniste ayant secoué les États-Unis à l'époque du « maccarthysme » et qui toucha directement le domaine de la culture (rappelons à titre d'exemple l'exil de Charlie Chaplin), « Fahrenheit 451 » nous offre une vision glaçante d'une société dans laquelle les êtres humains ne sont plus que des coquilles vides, incapables de se lier les uns aux autres, vivant dans leur petite bulle de loisirs, sitôt consommés sitôt jetés, et où violence et suicides sont devenus monnaie courante. Oublier toute idée de promenade nocturne dans le seul but d'admirer la lune ou les étoiles, de moments de partage en famille ou entre amis, et même de brefs instants de méditation chez vous, dans la rue ou dans les transports en communs. Réfléchir est devenu un acte antisocial, prendre le temps de porter attention à ce et ceux qui nous entourent, un signe de déséquilibre mental : se distraire, toujours, tout le temps, par tous les moyens, voilà ce à quoi doit aspirer tout bon citoyen ! Bradbury nous dresse le portrait sans fard d'un monde vide, complètement dévitalisé, où la créativité, l'amour et l'amitié ne sont plus que de lointains souvenirs et qui laisse comme un sentiment de malaise qui saisi immédiatement le lecteur à la gorge. Une société fictionnelle, certes, mais qui présente de troublants parallèles avec la notre, ce qui explique que le propos du roman demeure encore de nos jours aussi pertinent, et ce malgré son âge.

Certes nous n'en sommes pas encore aux « murs-écrans », aux robots-traqueurs et à l'éradication pure et simple de la culture, mais il n'empêche que l'auteur aborde ici des thèmes qui comptent aujourd'hui encore parmi les grandes préoccupation de notre siècle : la coupure de l'homme avec ses racines ; les difficultés à concilier bonheur et progrès ; et surtout l'impérialisme des médias. Car, comme le rappelle Jacques Chambon dans sa préface « Il y a plus d'une façon de brûler un livre, l'une d'elle, peut-être la plus radicale, étant de rendre les gens incapables de lire par atrophie de tout intérêt pour la chose littéraire, paresse mentale ou simple désinformation. » Quelle glaçante vision en effet que ces êtres presque lobotomisés à coup de publicités et de programmes insipides ayant pour seul objectif de monopoliser en permanence leur attention et ainsi les détourner de toute possibilité de réflexion ! Seule minuscule étincelle dans cet univers triste et gris : un homme, qui, de représentant par excellence du système, va en devenir le plus grand ennemi. Touchant car en proie au doute et au désespoir le plus profond, Montag est un protagoniste dont on a plaisir à suivre le long et difficile cheminement intérieur vers la vérité et enfin la liberté. Les personnages secondaires, bien que beaucoup plus en retraits, sont également très convaincants, suscitant tour à tour la pitié (la triste épouse de Montag), l'affection (l'espiègle petite Clarisse), l'antipathie, la peur, la colère...

Avec « Fahrenheit 451 » Ray Bradbury tire la sonnette d'alarme, pour sa génération comme pour celles à venir, et nous offre une véritable ode à la vérité, la liberté et bien évidemment à la littérature dont il nous rappelle l'irremplaçable utilité. « Contribuez à votre propre sauvetage, et si vous vous noyez, au moins mourez en sachant que vous vous dirigiez vers le rivage. »
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