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Critique de Pois0n


C'est par un très indigeste prologue que commence « La princesse de la nuit », nous racontant de façon aussi succincte que floue les origines du monde où se déroule l'histoire... et brouillant la frontière entre fantasy et SF, puisque l'on nous parle de manipulations génétiques en laboratoire. Bref, lorsque l'histoire débute, on ne sait plus trop ce que l'on est en train de lire.
D'aucuns diront qu'il est plus important de se laisser porter par le récit que de vouloir à tout prix y coller une étiquette, qu'au pire, le choix de celle « qu'il faut » (que l'on peut) y apposer se clarifiera plus tard... Oui mais non. Moi, j'aime bien savoir dans quoi je me lance, sinon, je n'arrive justement pas à entrer dans ma lecture, surtout dans ce cas précis : s'agit-il de notre monde des milliers d'années plus tôt ou plus tard, ou bien d'un autre ? Cette confusion est avouée volontaire dans la postface. Oui, ben pas merci, parce que sans ce prologue, j'aurais sans doute moins ramé au début...

Donc, si doute il devait subsister : c'est de la fantasy (de l'oriental fantasy, même), dans un monde où les déserts se transforment en jungle et où la magie est chose courante. Et où, longtemps auparavant, des « créateurs » se sont amusés à jouer au petit chimiste avec les gènes humains et animaux, créant ainsi des hybrides nommés Halflings.

Donc, on entre (difficilement...) dans l'histoire et rapidement, l'on comprend avoir affaire à un conte pour adultes, en reprenant la structure habituelle. A titre d'exemple, Tamino, venu un peu de nulle part, se retrouve chargé d'aller récupérer Pamina. Et ne se pose pas la moindre question, tombé amoureux de la belle après avoir vu son image durant deux secondes. Pamina, de son côté, en fera de même après avoir... simplement entendu parler de lui ! Bien entendu, les personnages devront traverser des épreuves avant d'avoir le droit d'être ensemble...
La trame de fond est donc d'un simplicité confondante, d'autant que si les personnages ne voient pas ce qui est sous leur nez, le lecteur, lui, aura compris d'emblée les tenants et aboutissants de l'histoire. Normal, dans un conte. D'autant qu'à l'origine, l'autrice s'est inspirée d'un opéra grand public.
Néanmoins, tout est quand même vraiment trop commode là-dedans et surtout, semble atrocement artificiel : on procure ou retire aux protagonistes leurs puissants instruments de musique magiques de façon totalement arbitraire, en fonction de leurs besoins du moment (et surtout de ceux de l'intrigue) ; on les soumet à des interdictions, qu'ils enfreignent... sans que ça n'aie la moindre conséquence voire, dans certains cas, qu'au contraire ça leur réussisse ! Bref, on sait que quoi qu'ils fassent, ils parviendront là où ils sont censés aller par quelque pirouette, et tant pis pour la cohérence.

Y mêler des considérations philosophiques de comptoir à la moindre occasion n'était donc pas forcément l'idée du siècle. Certes, il s'agit d'un récit initiatique, mais que des personnages par ailleurs lisses et naïfs se mettent soudain à réfléchir sur la sagesse, la vérité ou le sens de leur vie faute d'avoir mieux à faire sur l'instant, avant de continuer leur aventure comme si de rien n'était donne l'impression assez désagréable d'avoir affaire à un récit-patchwork. Dans un déséquilibre constant entre conte naïf et profondeur forcée, celle-ci a un goût d'ingrédient rajoute à l'arrache dans une recette où il n'y en avait nul besoin. Perso, j'ai beau aimer le chorizo, j'évite d'en mettre dans mon cacao du matin...

Mais ce n'est pas ce qui m'a dérangé tout du long sans que je n'arrive jamais vraiment à mettre le doigt dessus.

Il est donc temps d'aborder le cas des Halflings, ces hybrides entre homme et animal dont le sort est, vous l'aurez deviné, peu enviable. D'un côté, il y a le pays de la Reine de la Nuit, où ils sont réduits en esclavage ; de l'autre, celui de sarastro, où ils sont « bien traités ». le problème, c'est que ceux-ci ne bénéficient pas de « bienveillance », comme ça l'est proclamé haut et fort pendant tout le récit, mais plutôt de la même condescendance que celle dont font preuve les valides envers les personnes handicapées dans le monde réel. Quand on fait partie des concernés, c'est flagrant, notamment à travers l'infantilisation constante à laquelle sont soumis les Halflings. On leur fait passer les « mêmes » épreuves que les humains, mais « à leur niveau » (petit sourire « bienveillant » inclus – d'ailleurs, une fois que Papageno décide de se détourner des considérations philosophiques « trop compliquées pour lui », quand bien même on nous répète à côté qu'il est « pourvu de bon sens », il est purement et simplement éjecté de l'histoire !) ; on répète à tout-va qu'ils faut les traiter en égaux, tout en rappelant sans cesse que ceux-ci sont « inférieurs » et « limités » ; quand l'un d'entre eux, pourtant par ailleurs présenté comme « plus intelligent que la moyenne », en vient à l'agression sexuelle, c'est parce « qu'il ne sait pas dominer ses pulsions » ; dans une situation où Tamino se retrouve à quémander leur aide, celui-ci leur « fait grâce » de l'usage de la force, préférant à la place avoir recours à la « négociation »... pour, au final, ne pas leur laisser vraiment le choix. Et TOUT est comme ça.
Le « petit truc qui gêne » du début devient rapidement un énorme malaise et ce, avant même qu'on l'on ne soit parvenu à identifier précisément la nature du problème. Et bien entendu, on nous présente cette façon de faire comme « positive », mise en contraste avec l'esclavage et les sacrifices ayant cours de l'autre côté de la frontière, sans que jamais le bien-fondé de cette condescendance dégoulinante ne soit remis en question, dans un récit où pourtant à peu près tout y passe. Au final, la place des Halflings dans le récit se borne à mettre en lumière la « bonté » de ceux qui ne leur tapent pas dessus... mais aussi leur supériorité. Sachant que d'un bout à l'autre, la chose nous est présentée sous la forme de races et d'origines... Bref, si, sur la forme, c'est un conte un peu bancal mâtiné de philosophie, sur le fond, c'est tout de même beaucoup plus craignos, sans qu'il soit possible de déterminer si c'est voulu (voire conscient) ou non de la part de l'autrice.

Forcément, inutile de vous dire que ça gâche un peu beaucoup l'ambiance, et en l'occurrence surtout la lecture.

Alors certes, le truc a été écrit dans les années 80 ; certes, il possède l'ambiance propre aux contes merveilleux et certes, Marion Zimmer Bradley possède une très jolie plume... mais vaut-il vraiment le coup d'être découvert plus de trente ans après, avec des défauts aussi énormes ? A chacun de se faire son propre avis sur la question. Après tout, c'est le thème du livre...
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