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Critique de lafilledepassage


« L'homme qui répare les femmes » n'est pas un roman, mais un document historique, écrit par la journaliste Colette Braeckman, LA spécialiste de la région des Grands Lacs. On peut déplorer ce titre, que je trouve assez malheureux, même si je comprends bien l'idée. Cela me donne l'impression que la femme congolaise est considérée comme un appareil électro-ménager, qu'il faut parfois réparer. Ou comme une poupée, un jouet.

Mais bon passons sur ce détail, il y a beaucoup plus important à dire, puisqu'il est ici question de la vie de milliers de femmes et de l'avenir d'une région, d'un pays. Et direction : le Kivu, l'une des régions les plus riches d'Afrique avec ses réserves minières dont le fameux coltan, un minerai essentiel dans la fabrication des téléphones mobiles qui attire toutes les convoitises. le Kivu, peuplé de bandits en tout genre, prêts à tous les trafics pour s'enrichir. le Kivu, parcouru par des milices armées – congolaises et étrangères - jusqu'aux dents, avec souvent des enfants dans leurs rangs. le Kivu, une terre hors-la-loi, où l'Etat est totalement absent. le Kivu, où tous les jours des femmes sont violées, mutilées, tuées, des villages sont décimés sans que la communauté internationale ne réagisse.

Je ne peux m'empêcher de repenser à la réflexion de l'auteure, qui lit dans la situation actuelle du Congo « une vision de notre avenir » (voir «Congo : Kinshasa aller-retour »). Avait-elle en tête les horreurs du Kivu ? Alors on ne peut espérer qu'elle se trompe ...
L'auteure revient d'abord sur les origines de ce conflit larvé au Kivu, sur les années nonante et le génocide rwandais qui s'exporte au Congo, dans les camps réfugiés hutus où se cachent les génocidaires, qui par ailleurs conservent leur organisation en milice et déambulent armés de leur fameuse – et tristement célèbre – machette. Une histoire compliquée, où les peuples s'emmêlent, car le Kivu a aussi accueilli largement des Tutsis, chassés par les premiers massacres des années soixante, au moment de l'Indépendance du Rwanda.

On est bien loin des discours officiels qui se félicitent d'avoir assuré en un minimum de temps le retour de plus d'un million de civils au Rwanda. Par contre, Braeckman n'hésite pas à dénoncer l'inefficacité des Casques bleus, le double-jeu des humanitaires, et ose poser la question « à qui profite ce crime, cette guerre qui dure depuis presque vingt ans ? ».

« L'homme qui répare les femmes » n'est pas un essai (Braeckman ne répond à aucune des questions posées), mais le témoignage de Denis Mukwege, ce saint ou ce sage qui a choisi de rentrer au pays et de soigner ces femmes plutôt que le confort matériel, une vie facile en France ou ailleurs en Occident, une carrière scientifique brillante et des honneurs académiques. Oui, Denis Mukwege est un homme d'une rare sagesse, un homme exceptionnel, qui mérite cent fois, mille fois le prix Nobel de la Paix.

Denis Mukwege est un homme usé aussi. le médecin salue bien sûr l'aide financière et matérielle qui arrivent du monde entier, mais déplore qu'aucune solution politique et durable ne soit envisagée, ni même évoquée, qu'une fois de plus la communauté internationale s'attaque aux conséquences et non aux causes de ce désastre humanitaire. Combien de vies brisées, celles des femmes et des fillettes violées, celles des hommes qui ont assisté impuissants au viol de leur épouse, de leur fille ? Sans compter tous ces enfants que ces femmes, ces hommes n'auront jamais …

« L'homme qui répare les femmes » est avant toute chose un hommage vibrant à Denis Mukwege, que je considère comme une incarnation moderne de Sisyphe. Et l'auteure reconnait sa chance: « accompagner durant quelque temps cet homme de paix et de vérité, retracer son parcours et suivre sa pensée furent un bonheur. Mais surtout un honneur. Une grâce de la vie. »
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