J 'attribue volontiers 4 étoiles à ce roman, même si je sors de cette lecture avec un profond sentiment de mal-être. "Dieu sait" pourtant combien j'ai aimé mes parents, et avec quelle force je me suis accrochée à leur souffle...Mais j'ai trouvé malsaine, et je dirais même pathologique et relevant de la psychiatrie, cette adulation dont Giuletta est l'objet.
Fantasque et forte tête, cette mère de 7 enfants, 4 fils et 3 filles, règne sans partage sur son entreprise familiale. Romancière à succès, elle partage sa vie entre l'éducation de ces derniers, son métier d'auteure, ...et ses escapades, jusqu'au jour où la mémoire lui fait défaut, et que s'amorcent une longue déchéance, une vie cauchemardesque, tant pour elle que pour les membres de sa famille.
Anne Bragance est de ces auteurs dont j'apprécie particulièrement la finesse de la plume et la richesse du vocabulaire. de surcroit, elle n'est pas férue de digressions qui, en soi, ne sont pas une mauvaise chose, mais s'avèrent souvent trop longues, et de ce fait, ennuyeuses.
Dans ce roman, par le biais d'une trame en quelque sorte chorale, l'auteure brosse le tableau d'une famille confrontée à l'adversité. Chaque chapitre est consacré aux pensées des différents protagonistes, dont celles de la mère qui, en dépit de la maladie dont elle souffre, semble bien consciente de l'enfer qu'elle fait vivre à ces "messieurs et à ces dames" qui, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pareils à des dévots s'affairent autour d'elle. Ces "messieurs et dames " n'étant rien de moins que ses enfants dont elle ne se souvient plus.
Cette immersion dans les pensées des différents membres de la fratrie met en relief la complexité de l'esprit, ses contradictions et ses ambivalences.
Si de prime abord, j'ai adhéré à cette mobilisation, l'amour filial étant un sentiment noble, j'ai été moins partie prenante à mesure que j'avançais dans ma lecture.
Il est vrai que la personnalité de Giuletta m'avait d'emblée déplu, car bien que présentée comme une maman aimante, elle n'en était pas moins égoiste et dominatrice pour autant. Soit dit en passant, le cliché de la mère italienne possessive est décidément bien récurrent...
Le malaise ressenti m'est venu de l'attitude de ces adultes qui vouent à leur mère un véritable culte, comme on voue un culte à un dieu. Ils entreprennent de l'accompagner comme on entre dans les ordres et qu'on embrasse une vie de renoncement, jusqu'à en oublier les besoins de leur conjoint et enfants respectifs.
Cette excessivité m'a tenue à distance, a fait obstacle à toute émotion de ma part, car je n'ai pu me figurer cette mère autrement que comme une déité ; à des années-lumière d'une maman désarmée et malmenée par la vie, celle que j'aurais eu envie d'étreindre, de rassurer et de protéger.
Sans doute était-ce le choix de l'auteure de représenter cette mère que je qualifie de toxique, et de mettre en exergue combien l'image de la mère "parfaite et irréprochable" peut s'avérer dommmageable pour les adultes en devenir que sont les enfants.
Je dirai pour terminer que dans ce roman, je n'ai vu ni un récit émouvant, ni la démonstration de l'amour filial, mais plutôt une volonté de la part de l'auteure d'évoquer les dégats que peuvent occasionner l'éducation pour laquelle optent ces personnages enclins au narcissisme.