Korede l'ainée, depuis son enfance, s'astreint à protéger sa soeur Ayoola des coups de canne du père, des coups du sort de la vie, de tous les coups.
Pour Ayoola, en revanche, tous les coups sont permis, un petit coup de couteau ne peut pas faire de mal, non ?
Innocente et perverse, elle fait onduler ses dreadlocks, pour elle les hommes sont des jouets,(un jouet on joue avec et on le casse) elle est sûre que sa soeur va l'aider à éliminer : ce sera elle qui nettoie le sang, aide à descendre le cadavre, le troisième, et à l'entreposer dans sa voiture, se compromet et permet ainsi que les rôles puissent être confondus. La vraie « killeuse » ne se sent pas coupable, la coupable, c'est celle qui l'aide.
Ironie du titre, avec féminisation française d'un mot anglais , ironie de l'histoire, qui se complique lorsque Ayoola met le grappin sur le médecin qui plait tant à Korede, celle-ci imaginant le corps de celui qu'elle aime nageant noyé au milieu des poissons, sur le plancher de l'océan.
Qui se complique encore plus quand la beauté d'Ayoola mène le médecin par le bout du nez ( pour ainsi dire).
L'ainée est prête à tout pour aider, nettoyer les dégâts à répétition de sa cadette, cependant elle en a gros sur la patate, cherche à se décharger de ce poids dont elle n'est pas responsable ( quoi que, vu la version d'Ayoola, elle pourrait être bien la première inculpée, qui peut le dire ?) : il lui faudrait un psychanalyste, ou un prêtre, mais non, ils la cafteraient.
Elle essaie bien de prévenir le futur poignardé, en lui expliquant que Ayoola fait un break, que ses histoires n'ont jamais duré, et que toutes ont toujours mal fini : il en conclut que « les mecs peuvent être de vrais crétins » Sauf lui, bien sûr.
Enfin, l'hypothèse qu'Ayoola, qui « vit dans un monde où tout doit toujours aller dans son sens.( c'est une loi aussi immuable que celle de la gravité ) se fasse prendre ? En ce cas, elle convaincrait aisément la cour qu'elle s'est simplement défendue d'une horrible ( enfin trois, mais on ne va pas compter !) agression , et qu'elle a agi « comme n'importe quelle personne raisonnable et sublime l'aurait fait. »
Alors, puisque Korede est infirmière elle se confie à un comateux déjà passé dans l'autre monde, couché dans son lit d'hôpital, elle imagine ses réponses…. Et je n'en dirai pas plus.
La cadette est aussi belle que la photo de la couverture, les dialogues aussi jouissifs que le sourire de la belle, l'innocence, ah, l'innocence de cette actrice qui séduit même les flics venus enquêter, sa manière d'enrubanner ses charmes, d'emmieller les mecs, de se vautrer dans la vie facile, et, mine de rien, de tuer !
Drôle, par la manière de camper la mère, aussi embobadée que les différents mecs qu'elle voit passer, d'évoquer le père, aimé par une qui s'approche de Korede, le jour de l'enterrement : « c'était un homme extraordinaire ! »
Oui, pense tout bas Korede, il a été extraordinaire pour plein de femmes, il nous disait « « il faut engraisser la vache avant de la conduire à l'abattoir ».
Drôle, ce livre, racontant une histoire triste, pas seulement les meurtres de la soeur, mais l'emprise qu'elle a sur tous, leur inspirant amour impérissable à tous, y compris à l'ainée, et puis, en filigrane, les embouteillages de Lagos, la vie à l'hôpital, entre ceux qui dorment, ceux qui flirtent et ceux qui ne font rien.
Pour la manière simple et tellement efficace d'écriture, pour nous conter à la première personne les affres de Korede, pour nous faire entrer de plein pied dans un drame à la Racine, pour toutes ces raisons il faut lire le premier roman d'Oyinka Braithwaite. :
Ma soeur, serial killeuse.