La féline

Bien avant qu'une vague bit-lit ne déferle, déversant sur nous tout un flot de vampires, de lycanthropes ou de faes, il fut un temps ou les J'ai lu et les Pocket Terreur nous offraient de chouettes histoires fantastiques "pour lecteurs avertis", dixit la quatrième de couverture. Cette dernière nous promet un univers de terreur et d'érotisme ("Les légendes anciennes parlaient d'âmes errantes de léopards, avides de se réincarner."), avec cette novélisation du scénario de Dewitt Bodeen (Cat People, The curse of the Cat people) adapté au cinéma par Jacques Tourneur en 1942.
Le bon souvenir que l'on garde du film produit par la R.K.O ne souffre pas de cette lecture. le roman qui n'est pas fidèle à la première version (la seconde, datant de 1982 est due à Paul Schrader) est un ouvrage plein de charme et de sensualité discrète, qui a pour cadre La Nouvelle-Orléans.
La belle Irina Galtier, âgée de 21 ans, revient dans sa ville natale pour renouer des liens avec son frère Paul. Elle ne garde que peu de souvenirs de son passé. Son père, propriétaire d'un cirque a tué sa femme et s'est donné la mort lorsqu'elle était très jeune. Consciente de son incapacité à vivre comme les autres jeunes filles, Irina est belle, sensuelle, double. "Caressante comme une chatte, et l'instant d'après froide comme un glaçon", elle pressent que l'amour et la sexualité, qu'elle associe confusément au danger, représentent une menace pour elle et pour les autres. Les retrouvailles avec Paul qui vit dans une grande demeure sinistre avec sa gouvernante, Femally, une noire à l'allure de reine, ne vont guère apaiser ses doutes, bien au contraire. Dès son arrivée, Irina est en proie à des rêves étranges dans lesquels elle ère dans des jungles primitives. Ses sens sont décuplés, elle voit la nuit sans aucune difficulté, et des pulsions sexuelles l'envahissent. Un énorme léopard noir qui terrorise la ville en s'attaquant aux femmes est capturé peu après son arrivée et enfermé au zoo de la ville. Etrangement attirée par ce félin, le plus difficile à dompter, la jeune femme, le caresse et lui parle, fascinée. Qui est donc Irina, dont la seule présence affole les oiseaux et les autres animaux? Comment le léopard a-t-il pu s'échapper de sa cage? Pourquoi David Galtier est-il pris d'une rage incestueuse en présence de sa soeur?
Beaucoup de mystère et de sensualité dans ce roman qui plus que les errances sanglantes d'un fauve, s'attache à décrire la prise de conscience d'une jeune femme et l'acceptation inéluctable de sa véritable nature. La féline est un ouvrage réussi sur la thérianthropie qui se joue habilement des ressorts traditionnels de l'horreur et de l'hémoglobine, leur préférant l'affrontement des terreurs ancestrales, quand les rêves sont pires que les peurs les plus concrètes. La lignée maudite aux origines tribales, claniques, née des temps primitifs peine à se maintenir dans la modernité malgré l'atmosphère de la ville de la Nouvelle-Orléans, et c'est là tout le charme de l'ouvrage.
Une relecture de Brandner s'impose pour toutes les auteures de bit-lit qui ont tendance à oublier que le mystère, habilement distillé, tout comme le désir, est plus efficace que les révélations fracassantes toutes les vingt pages ou les métamorphoses sanguignolentes qui plombent les histoires d'amour. Sus à Twilight et consorts dans lesquels les pulsions sexuelles sont réprimées par puritanisme, javellisées à grand renfort d'hypocrites métaphores.
Le roman de Ivy et Wright, Bayou heat, dont l'alléchante présentation ("In the depths of the bayous lives a secret race of puma shifters. The creation of a powerful magic, they have lived in peace until the threat of extinction drives them to seek the world beyond their homelands. Now the Pantera must discover the answer to their dying magic and halt an ancient enemy before it can destroy them all") nous promet une belle aventure dans le monde merveilleux des métamorphes, saura-t-il dépasser les clichés de la romance paranormale et revenir aux bonnes vieilles recettes qui ont fait leur preuve comme c'est le cas ici?

ce livre marque pour moi une époque, avec Wolfen et Prédateurs de Whitley Strieber. Une étape pour Straub, Koontz et Herbert (James pas Franck) et l'age d'or des Pockett Terreur avant que la mode de la Bit-Lit ne passe au main des femmes auteur avec Rice (devancière en France mais peut être pas aux US.