Savez-vous qui est l'inventeur du selfie ? Ni les Kennedy ni
Steve Jobs ! Pour moi, ce titre revient à Mathäus Schwarz, brave banquier augsbourgeois du XVIème siècle, qui fit réaliser pas moins d'une centaine de dessins le représentant dans les différents costumes qu'il avait porté au cours de sa vie, de sa naissance à la vieillesse ! Il les rassembla tous dans un livre, qu'il compléta de descriptions des dits costumes et de brefs éléments biographiques : le ‘Livre des costumes'. Un document dont on ne connaît nul équivalent, qu'il semble avoir destiné à son fils.
C'est donc une mine de platine brut pour les historiens, mais pour nous-autres simples mortels c'est également une étonnante découverte. Car on pénètre là dans la vie et l'intimité d'un homme d'il y a cinq-cents ans, notre ancêtre peut-être ! Et cette personne d'il y a si longtemps nous devient soudain familière, à la fois très proche et très différente dans ses préoccupations et sa vie de tous les jours.
D'une, on est frappé par la dureté de sa vie : il manque de mourir plusieurs fois de maladie dans son enfance ; à sept ans il devient page pour le bouffon de l'empereur, qui fait de lui un vaurien ; à neuf ans il est placé en apprentissage auprès d'un curé, qui le traite si mal qu'il fugue ; il vit alors pendant plusieurs mois à l'aventure, mendiant, aidant les pâtres, avant de retourner chez son père. Voila pour la vie d'un fils de notable ! Il est également appelé plusieurs fois à la guerre ; mais même s'il est représenté plusieurs fois en armure on ne sait pas s'il participa aux combats. Il se marie, mais ne parle nulle part de sa femme, et ne fait qu'évoquer ses enfants.
Les dessins ont visiblement été faits par plusieurs peintres différents. Certains sont un peu grossiers, d'autres très fins ; tous s'attachent surtout à bien rendre le costume. Tous maitrisent les règles de la perspective, mais à des degrés inégaux ; certains ont des problèmes d'échelle ou de proportion, d'autres font preuve d'un excellent coup de pinceau. Quant aux vêtements en eux-mêmes, reflets des modes de l'époque, ils sont impressionnants par leur diversité. Tour à tour très sombres et très colorés, on note l'importance des accessoires, la variété des coupes.
Donc, si vous en avez marre que votre fils/fille adolescent/e se prenne en selfie toutes les cinq minutes, pensez au bonheur des historiens dans cinq-cents ans !