Certains auteurs ont ce petit plus, que l'on nomme communément : génie. C'est le cas de
Dante Alighieri en Italie, des "poètes maudits" (
Baudelaire,
Rimbaud et
Verlaine) en France, d'
Oscar Wilde en Angleterre, de
John Steinbeck aux États-Unis, de
Joseph Roth et
Stefan Zweig en Autriche, de
Friedrich Dürrenmatt en Suisse, et de
Bertolt Brecht en Allemagne, etc. pour n'en citer que quelques-uns. Par là, j'entends que, outre leur compétence littéraire manifeste, ils arrivent à vous rendre bouche bée de certaines de leurs trouvailles, qui ont le mérite (où l' inconvénient ) de résonner x temps après dans votre tête et que vous n'oubliez plus jamais.
Pour moi, en tout cas, cela a été le cas avec certains passages de "
L'Opéra de quat' sous", de"
Mère Courage et ses enfants", de "La vie de
Galilée" et de "
Grand-peur et misère du IIIe Reich" de
Bertolt Brecht.
L'édition bilingue (Allemand/Français) des "
Nouvelles/Kurzgeschichten" de
Bertolt Brecht, paru en collection "Pocket" en 2015, en contient 5.
La préface, traduction et notes sont de
Danielle Laquay-Meudal, qui prouve que ni la langue, ni l'auteur n'ont pour elle de secrets. Comme docteure en littérature comparée de l'université de Berlin, elle est spécialisée dans l'oeuvre de
Walter Benjamin et des contes d'Hoffmann, ce qui ne l'a pas empêché de publier une BD avec beaucoup d'humour : "
Ils sont fous, ces Berlinois !" en 1991.
- La vieille dame indigne : le petit-fils raconte qu'à la mort de son mari, sa grand-mère a commencé à mener une vie indigne, du moins selon sa famille et surtout un de ses fils toujours à court de blé. Qu'en est-il ? Après une vie d'épouse exemplaire et de mère-modèle pour ses 5 enfants, les dernières 2 années de sa vie, entre ses 74 et 76 ans, elle pense un peu à elle-même... en osant aller manger dans un resto bon marché et de s'occuper d'une pauvre fille "demeurée".
- Un sale type : une très courte nouvelle que
Brecht a écrite lorsqu'il avait à peine 21 ans. L'histoire d'un profiteur éhonté du charme féminin, de nature à choquer la pudibonderie bourgeoise de tout de suite après la première guerre mondiale. Anecdote marrante, la secrétaire de son père a refusé de taper cette histoire "scabreuse".
- Les crevettes de la mer du Nord : 3 poilus de la Grande Guerre, des anciens d'Ypres et d'Arras, se retrouvent un soir dans l'appartement de l'un d'eux. Un flat modèle du type Bauhaus. L'hôte et son épouse sont très fiers de leur réalisation : un grand mur blanc sans décoration aucune, un bureau spartiate, un salon où tout est lilas... le tout inspiré par un "parti pris fonctionnel novateur" et d'un dogmatisme de l'esthétique... jusqu'à poser un objet absolument hideux dans la salle à manger, car rien n'est plus agaçant "qu'une harmonie sans faille". Cet endroit, où manquent convivialité et intimité - "Gemütlichkeit" - irrite un des invités à tel point, qu'ii procède, le whisky aidant, à un réaménagement catastrophique. Une boîte de crevettes de qualité extra était le cadeau d'arrivée de cet invité à son hôte.
- le cercle de craie d'Augsburg : Cette nouvelle est située dans la ville natale de
Bertolt Brecht. Il s'agit en fait, d'une fable qui remonte à la guerre de Trente Ans (1618-1648), qui opposait catholiques et protestants, et dans laquelle l'auteur prône une nouvelle éthique sociale.
- Curriculum du boxeur Samson-Körner :
Brecht, à une certaine époque, était un fanatique de la boxe, ce "combat sans hostilité". C'était lorsqu'il était adolescent d'ailleurs son loisir préféré. Violon d'Ingres qu'il partageait avec
Lion Feuchtwanger, par l'intermédiaire duquel il rencontra le boxeur Paul Samson-Körner (1887-1942), champion poids lourd, avant de devenir acteur de cinéma et de mourir dans un accident de voiture.
Brecht décida de laisser le boxeur raconter ses souvenirs, qu'il nota à sa façon, pour en faire un feuilleton destiné à des revues sportives.
Ce recueil de
nouvelles, comparé aux oeuvres citées plus haut, ne peut prétendre au même niveau littéraire. La sélection et présentation par la traductrice
Danielle Laquay-Meudal nous font connaître cependant un
Bertolt Brecht un peu moins connu, pour ne pas dire insoupçonné, et offre ainsi un intérêt incontestable.