Le crapaud détend instantanément les cuisses, pour aller atterrir maladroitement sur une autre pierre, à quelques dizaines de centimètres de là. Il laisse l'étrange être de pierre dans son dos. Torsionnant les yeux dans sa direction, il ne le quitte pas du regard.
Le garde forestier passe la petite butte et disparaît de la vue. Les trois randonneurs reprennent timidement leur route, accompagnés du regard par le crapaud. Ils disparaissent à leur tour, engloutis par les épais buissons qu'ils font trembler.
Insensiblement, le lieu s’obscurcit. Des nappes de brouillard sombres s’accumulent au ras du sol.
Viviane aperçoit du coin de l’œil le brouillard onduler, elle tourne la tête et le mouvement s’arrête.
Elle frissonne. Tais-toi ou il va paniquer
Un chien hurle à la mort. La cime dégarnie d’une forêt émerge, un grand corbeau noir scrute la forêt. De sombres nappes de brouillard enveloppent le lieu. Elles réagissent à l’arrivée de l’intrus. Un chuchotement confus de voix apeurées s’en élève. Les masses informes, contrariées, s’agitent. Les voix marmonnent une plainte presque inintelligible. Alerte… danger…
_Tu peux m’expliquer pourquoi personne ne se promène en forêt le soir ?
_ Parce qu’ils sont faits de la même trempe que toi. Pas de l’acier trempé, mais de la poule mouillée.
Une vapeur noire s'élève des nouveaux arrivants, et rejoint la masse sombre
La demi-douzaine de bras à portée de main du crapaud réagit, et se jette vers le cadavre frais. Les membres voraces se disputent à coups de poing et de griffes pour s’en emparer, tels une meute de chiens affamés.
– Je ne me ferai jamais aux bruits de la forêt, dit-il. Ces claquements bizarres, qui surgissent de nulle part, et qui s’arrêtent sans prévenir. Cela me fait toujours un petit pincement au cœur.
La nature engourdie peine à se réveiller. Les premiers rayons de soleil se fraient un chemin.
La cime dégarnie d’une forêt émerge, un oiseau noir s’extrait de la grisaille.
Un grand corbeau à la sinistre robe tournoie, s’élève en suivant les volutes invisibles. Il scrute la forêt. Son regard se fixe, pointe au milieu de l’étendue un endroit encaissé, plus sombre.
Le crapaud se rétablit et prend position sur le haut de la pierre recouverte de mousse. Il s'assoit, inexpressif. A peine installé, que ses yeux s'agrandissent brusquement.
Profitant de sa vue à 180 degrés, il dirige ses yeux en arrière, sans bouger le corps, jusqu'à faire face à deux gros yeux ronds exorbités. Deux orbites incrustées dans la pierre. Deux yeux de chair, à apparence humaine.