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La bibliothèque (devenue de plus en plus souvent médiathèque de nos jours) fait tellement partie de notre quotidien qu'il est difficile d'imaginer un monde sans elle. Et pour ceux qui n'y travaillent pas (même si je sais que bon nombre de membres de Babelio sont bibliothécaires), et dont je fais partie, elle paraît assez monolithique. de loin, on voit une gigantesque réserve de livres sans s'interroger sur leur choix, leur classement, leur mise en avant. Grave erreur (la preuve, comem je le disais, médiathèque remplace bibliothèque, donc un gros bouleversement). Mais cela n'est pas le sujet direct.

Car Bibliothèques en utopie traite des relations entre les penseurs socialistes du XIXe siècle et les bibliothèques, ainsi que des rapports des classes populaires, jusqu'ici éloignées des livres, avec cette nouvelle source d'informations et, donc, d'émancipation. Ce livre est une série d'articles écrits par différents auteurs. D'où des différences de style et d'exigence assez importantes entre les parties. Certains passages sont en effet assez abordables, tandis que d'autres nécessitent une certaine concentration et, parfois, une bonne connaissance de la période et des personnalités croisées (Proudhon, Fourier, Tristan, …). Ce qui m'a un peu gêné parfois.

Mais dans l'ensemble, la lecture de cet ouvrage est passionnante, car elle m'a ouvert les yeux sur la réflexion impressionnante de certains penseurs socialistes du XIXe siècle sur des points que je n'aurais pas soupçonnés. Certains avaient fait des listes d'ouvrages qui correspondaient à leur idée de l'intérêt de la chose écrite, censée aider l'ouvrier, le paysan à accéder au savoir qui lui permettrait d'évoluer dans une société en plein bouleversement. Mais aussi pour convaincre ces mêmes personnes de la justesse de leur pensée et de leur combat. Afin d'amener au pouvoir le socialisme.
Cela a aussi été pour moi l'occasion de découvrir les pratiques de lectures communes. Car beaucoup de gens ne savaient pas lire. Et donc, malgré l'augmentation conséquente du nombre de livres, se trouvaient toujours privés de cette source immense de culture.

Bibliothèques en utopie est un ouvrage exigeant par moments, mais passionnant dans l'ensemble tant il parvient à nous replonger dans ce XIXe siècle bouillonnant et tant il nous ouvre des portes jusque là juste entrouvertes (pour moi en tout cas).

Merci à l'équipe de Masse critique et aux Presses de l'ENSSIB pour cette découverte.
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Merci infiniment à Masse critique et aux Presses de l'Enssib pour l'envoi de ce livre.

Les lecteurs s'intéressent-ils à l'histoire de leur passion ? Il en est sûrement quelques-uns sur Babélio qui se demandent quelle fut l'évolution de cette pratique, qui parait aujourd'hui à la portée de tous, au moins en Europe. On se demanderait plutôt désormais comment pérenniser cette pratique dont les générations montantes ont tendance à se détacher. À voir l'activité de Babélio la fin de la lecture n'est pas pour demain.
Mais on a du mal à imaginer que la lecture a elle aussi été une conquête sociale pour certains milieux. le recueil d'études Bibliothèques en utopie, publié aux Presses de l'Enssib (École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques) aborde précisément la période durant laquelle le monde ouvrier a conquis petit à petit le droit de lire et de tout lire. Plus précisément il y est surtout question de l'époque des premiers socialistes (appelés « socialistes utopiques » par les marxistes), dans la première moitié du 19e siècle. J'y ai donc retrouvé quelques personnages dont j'avais entendu parler mais qui étaient devenus bien nébuleux : Henri de Saint-Simon, Charles Fourier, Louis Blanc, Pierre-Joseph Proudhon, Flora Tristan. Et j'ai découvert quelques autres pas moins intéressants : Étienne Cabet, Théodore Dezamy, l'anglais Robert Owen, parmi beaucoup d'autres.
Ils sont tous (et toutes) d'accord sur le rôle émancipateur de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Mais ils divergent, parfois profondément, sur le rôle de l'écrivain, la diffusion des livres, les pratiques de lecture ou les fonctions des bibliothèques. On voit une tendance bien nette à favoriser un certain type de lecture « sérieuse », plus à même de contribuer à la conscientisation du peuple sur sa situation et à l'action politique. Chez certains, la tentation paternaliste, moralisatrice ou autoritaire n'est pas loin. Cela donne des idées extraordinaires. Fourier par exemple prône une « métempsycose des bouquins » : toute la littérature « civilisée » (terme péjoratif qui désigne à peu près toute la littérature jusqu'au 18e siècle) ne doit survivre qu'accompagnée d'une glose qui en dénoncera l'inanité. L'écrivain jouit d'un certain prestige d'artiste mais sa rémunération ne peut s'inscrire dans le cadre du commerce capitaliste. D'où l'idée de rétribuer les auteurs en faisant voter les lecteurs, ou en instaurant une censure préalable. L'émancipation et la liberté ont quelquefois des voies divergentes : comment concilier égalitarisme et singularité ?
Comme l'instruction n'est pas encore obligatoire, beaucoup d'ouvriers qui savent lire et écrire sont des autodidactes. On pourrait s'en souvenir aujourd'hui que notre système scolaire est à bout de souffle. C'est le cas de Proudhon, qui dut quitter l'école assez tôt, et surtout souffrit cruellement du manque de livres (il apprenait le latin sans dictionnaire !). La bibliothèque du collège joua un rôle fondamental pour lui.
Au début du 19e siècle, les fabriques ne sont pas toutes passées au machinisme. J'ai donc été étonné de découvrir une pratique alors assez répandue, qui consistait à faire la lecture pendant le travail en atelier. Il fallait certaines conditions : que le patron ou le contremaître soient d'accord et que les ouvriers aient les moyens de se payer un lecteur. Mais ce fut un moyen non négligeable d'instruction et de diffusion des idées socialistes (on y lisait notamment la presse).
Flora Tristan se démena pour promouvoir l'éducation des ouvriers en insistant sur deux aspects assez originaux : l'instruction des femmes et l'internationalisme. Mais elle avait une conception assez dirigiste des bonnes et des mauvaises lectures, et prodiguait des conseils sur ce qui devait être lu ou évité. Elle entama un tour de France pour propager ses idées, au cours duquel elle devait décéder.
Il y avait aussi les premiers communistes, et notamment ceux qu'on appelait les néo-babouvistes (en référence à Gracchus Babeuf). C'étaient des égalitaristes, qui pensaient que s'aider mutuellement à s'instruire, c'était travailler à l'égalité entre tous. Mais eux aussi triaient les lectures et vilipendaient « la foule de publications pittoresques, illustrées, dramatiques, romanesques. »
Encore plus dirigiste était l'utopie icarienne d'Étienne Cabet. Il était l'auteur du Voyage en Icarie, vision d'une société idéale, qu'il tenta de réaliser en Amérique. Pour établir sa communauté, il exigeait que les membres connaissent ses écrits et en assimilent les principes. Il préconisait la lecture de ses propres livres. Mais l'usage qui était fait de la bibliothèque de la communauté démontre que les ouvrages de divertissement étaient les plus prisés.
Parmi la foule de choses à glaner dans ce recueil, je terminerai par la lutte pour la création des bibliothèques populaires dans les années 1860. La bourgeoisie cléricale leur reprochait de favoriser la diffusion des idées socialistes et de servir de lieux de réunions, ce qui n'était pas tout à fait faux. Dès lors les autorités impériales ou locales se montraient tatillonnes dans les autorisations de création de ces bibliothèques. Ces atermoiements valurent un éloquent discours de Sainte-Beuve au sénat : « Mais est-ce que vous croyez que vous allez tailler au peuple ses lectures, lui mesurer ses bouchées, lui dire : Tu liras ceci et tu ne liras pas cela ? Mais une telle défense, de votre part, mettrait un attrait de plus et comme une prime à tous les livres que vous interdiriez. » La lutte pour la lecture est une lutte pour la liberté.
Je suis très reconnaissant aux auteurs de ces études de m'avoir fait découvrir ces aspects passionnants de l'histoire des livres et de la lecture. Alors bien sûr cette lecture ne s'apparente pas à un page turner addictif. Mais ce livre foisonne de potentielles découvertes, dont je n'ai donné qu'un petit aperçu. Et il est la démonstration que l'acte même de lire a une portée sociale et politique.
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Un merveilleux ouvrage sur cette... Comment dire ? Cette merveille, oui, cette merveille que peut être une bibliothèque. C'est un ouvrage richement documenté et surtout qui nous amène à nous questionner davantage sur cet objet de recherche que peut être les bibliothèques.
Un livre qui ravira pour sûr tous les curieux, passionnés et autres amoureux des livres...
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J'ai reçu ce livre dans le cadre d'une opération "masse critique" et je remercie l'éditeur pour cet envoi.
Le propos de cet ouvrage m'intéressait car il s'agit d'un thème relativement peu étudié : la position des socialistes utopiques au XIXème siècle face à la problématique du livre. Comment ces inventeurs de monde percevaient-ils la lecture ? Que lisaient-ils ? Quelle importance accordaient-ils aux bibliothèques ? Quel statut devaient avoir écrivains et artistes en général dans la société qu'ils imaginaient.
Les travaux d'une quinzaine de chercheurs ont été collectés puis assemblés et triés en plusieurs chapitres en fonction de leur centre d'intérêt.
Je reconnais que j'ai eu du mal à lire certaines contributions, à cause de leur aridité et du style pas toujours aisé à appréhender de leurs auteurs. Les universitaires écrivent trop souvent pour leurs pairs plutôt que pour un public élargi. Pour donner un gage de sérieux à leurs travaux de recherches, ils évitent trop souvent les faits et les anecdotes qui pourraient donner un peu de "relief" à leur récit. L'ensemble me semble en tout cas être un travail de qualité et même si j'ai quelque peu peiné à la lecture, la masse de connaissances plutôt réduite que je possédais s'est accrue au fil des pages... Mon parcours a donc été conforme à la vision d'auteurs comme Fourier pour qui la lecture n'avait point fonction de divertissement et devait surtout enrichir la réflexion !
Les recherches de Gaetano Manfredonia sur la place de l'artiste dans la vie sociale est très intéressante et tout à fait d'actualité, quand on sait que dans certains pays nordiques, les artistes "professionnels" peuvent bénéficier d'une allocation mensuelle pour les aider dans leur vie quotidienne...
J'ai découvert la relation passionnée de Pierre Joseph Proudhon avec sa bibliothèque... Son séjour prolongé à la prison Ste Pélagie lui a permis de lire jusqu'à plus soif et il prenait de nombreuses notes en marge de ses lectures, allant parfois jusqu'à apostropher les auteurs dont les propos l'indisposaient. "L'organisation du travail" de Louis Blanc est ainsi commentée au milieu d'un chapitre : "Blanc, tu me fatigues !". D'où le concept employé par l'auteur de "bibliothèque vécue" de Proudhon, pour indiquer à quel point cet homme remarquable se pénétrait des ouvrages qu'il parcourait.
Dans le familistère créé par J.B.A. Godin, la lecture occupait une place importante et une place considérable était accordée à la bibliothèque qui devait permettre aux coopérateurs d'améliorer leur éducation personnelle...
Anecdotes que tout celà, certes, mais qui ont le mérite d'alléger un peu le propos d'ensemble comme je le disais plus haut.
Autre intérêt non négligeable, pour moi, de cette lecture : j'ai découvert l'existence de penseurs socialistes dont j'ignorais tout, même l'existence. La richesse de toutes ces pensées émergentes dans la première moitié du XIXème siècle m'a impressionné et m'a donné envie d'approfondir ma connaissance de cette période de notre histoire sociale.
Je pense, en résumé, que ce livre ne doit pas forcément être lu d'une traite, mais peut être consulté, comme une encyclopédie, en fonction des intérêts immédiats du lecteur.
Bref, je recommande cet ouvrage à ceux qui sont décidés à faire un effort pour l'appréhender, à ceux donc que le thème historique exploré peut intéresser. Il ne s'agit point de "lire pour se distraire" et de s'exposer au courroux de Charles Fourier !
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Merci à Babelio pour l'envoi de cet ouvrage dans le cadre de l'Operation Masse Critique. J'avoue avoir eu du mal à m'atteler à sa lecture, mais une fois plongée dans le coeur du sujet, j'ai été captivée par l'objet d'étude abordé. En tant que professionnel, tout aussi bien qu'à titre personnel, on comprend entre autres l'importance qu'a pris la lecture dans la société au XIXe siècle et comment le livre a fait pour atteindre l'ensemble des classes sociales.
Un sujet approfondi, très bien mené et réellement intéressant !
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Quelle est la place du livre, de l'écrit et de la lecture pour les socialistes et utopistes français du 19e siècle ? Ce volume tente de répondre à cette question sous l'angle de l'histoire sociale, par de courtes études sur les principaux acteurs de ces mouvements, comme Proudhon, Gay, Cabet, Tristan, et les autres... de nombreux éléments passionnants sur ces pratiques, proche de l'auto-instruction ouvrière, peuplent cet ouvrage, comme les lectures collectives d'ouvrages et de journaux, l'oeuvre d'éditeur ou d'imprimeurs de certains d'entre eux, la circulation des ouvrages. Ces utopistes furent de grands lecteurs, et mobilisèrent l'écrit dans leurs conceptions mais aussi dans leurs pratiques utopiques. le livre est à la fois un résidu du monde ancien et un vecteur de transformation vers le futur. Malgré tout l'intérêt du propos, on peut regretter que le sujet ne soit traité que sous l'angle, en partie un peu anecdotique, du rapport aux livres et non aux contenus mêmes des livres. Ce rapport aux livres serait-il un trait constitutif et fondamental, voire unique ou déterminante, de cette attitude politique et sociale ? Certaines contributions semblent parfois le suggérer sans pour autant mener à terme de l'exploration de cette voie. Par son érudition, ce livre est une passionnante contribution à ce vaste sujet.
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