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EAN : 9782251445335
160 pages
Les Belles Lettres (15/05/2015)
4/5   3 notes
Résumé :
Le nom d'Averroès est celui d’un scandale. Voici l’homme d’une thèse folle qui soutient que l’intellect est séparé des individus et unique pour toute l’espèce.
Conséquence ? La négation de la proposition « je pense » : la ruine de la rationalité. Pendant cinq cents ans, l’Europe s’en offusquera. Comment comprendre cette histoire qui mêle fascination et rejet ? D’où vient que l’averroïsme récusé d’emblée n’ait cessé de reparaître ? Avec Freud, ce livre propose... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
In principio erat Aristoteles, avec, dans son de l'âme, un système complexe de l'intellect d'où la scolastique distinguera entre homo cogitans et homo intelligens ; dont Descartes héritera sa fameuse maxime. de ce même philosophe, en plein XIIe s., Averroès le Cordouan tire son traité : L'intelligence et la pensée. Grand Commentaire du de Anima, livre III, où il affirme que l'intellect est unique, commun à l'espèce humaine, éternel, inengendré, incorruptible, partagé : ergo, pour les adversaire latins, « la ruine de la rationalité personnelle, qu'une formule, tel un contre-slogan exorbitant, venait résumer : "L'homme ne pense pas." [… 'ça' est : "un cogitatur global"] » (p. 10).
À partir de 1270, du de unitate intellectus de Thomas d'Aquin, ou peut-être même un peu avant, innombrables sont les penseurs occidentaux qui « exècre[nt] l'opinion d'Averroès plus que le diable ». Et pourtant... elle refait surface sans cesse, et tous les malentendus qui l'entourent font preuve de refoulements, de détournements, de mésintelligences suspects. Jusqu'à ce que, au plus profond de la pensée de Freud – et non de Jung, comme on aurait pu le penser – apparaisse un concept, celui de Unheimliche, traduit en français « inquiétante étrangeté », qui vient expliquer ce que l'averroïsme est à la philosophie occidentale, au double titre du système monopsychiste par rapport au rationalisme ainsi que de l'altérité des deux philosophies l'une pour l'autre.
De nombreuses facettes de cette relation, à travers les siècles ainsi que par différents éléments hétéroclites – poétiques, métaphoriques, narratifs (contes), et naturellement philosophiques « purs » – sont explorées au cours de ces pages très juteuses, très éclairantes (des éclairs de l'éclair), bien que souvent d'accès ardu.
La familiarisation avec le concept psychanalytique constitue la première étape de l'ascension. (Chapitres 2-4). Ensuite, il apparaît qu'il est d'abord question d'un oeil arraché... ou d'yeux aveuglés, comme dans un tableau du XVIe s. trouvé à Syracuse et représentant « La Disputa di San Tommaso d'Aquino » (ch. 5). Et pourtant, il y a de l'averroïsme lyrique dans le Stil novo, en particulier dans le plus célèbre poème de Guido Cavalcanti, « Donna me prega » (ch. 6). Écho poétique contemporain : « Être mur » de Mahmut Darwich, sur le problème de la « forme » et de l' « obiectum » (ch. 7). Première irruption de la chose psychique : parentés supposées entre averroïsme et démonologie, à partir du traité d'un philosophe padouan du XVIe s., tel Jacopo Zabarella, intitulé Liber de mente humana (ch. 8). Deuxième incursion : le problème du double : « Deux sujets, deux hommes » ; le problème s'étend de Pierre Auriol et Grégoire de Rimini (XIVe s.) jusqu'à la suggestive pensée de Jacques Lacan : « il ne s'agit pas de savoir si je parle de moi de façon conforme à ce que je suis, mais si, quand j'en parle, je suis le même que celui dont je parle. » (cit. p. 84) (ch. 9). le miroir et la perception : un montage complexe à deux hommes, deux faces du miroir, surface aquatique réfléchissante, et tripartition entre chose sentie, oeil, imagination : « Miroir déformé » (ch. 10). « Un pour tous. Confusion des êtres. » : phénomènes de télépathie, et surtout psychologie des foules à laquelle Freud consacra un essai en 1921 (ch. 11). « Moi, Dieu. La toute-puissance des pensées » : la névrose obsessionnelle dont l'un des symptômes est l'idée mégalomaniaque qui voit dans sa pensée une cause agissante, ou son avatar, la crainte du « mauvais oeil ». Mais il y avait, dans la théologie latine, et chez l'Aquinate lui-même, une problématique concernant la possibilité de la vision béatifique de Dieu (ch. 12). « La pensée, la répétition, la mort » (ch. 13) : là encore, des symétries avec des concepts freudiens, à savoir la « compulsion de répétition » et la « pulsion de mort », qui, dans la lecture qu'Averroès fait de la Physique I d'Aristote, reviennent à la dialectique entre « forme » et « matière ».
Je doute d'avoir compris grand-chose à cette lecture. Mais le peu fut déjà illuminant et jouissif.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
« Averroès angoisse la latinité. Il l'inquiète étrangement, comme une réalité ancienne et familière, mais recouverte, qui se relève, s'entête pour reparaître. Cela signifie qu'il n'est pas son dehors, un opposite inconnu, l'adversaire ou le barbare aux frontières. L'islam qui recule et qu'on contient est une fausse image ; la guerre et la géographie ici ne disent rien. Serrons l'histoire et le sens des textes, les flux, l'unité de la pensée vivante, et Ibn Rušd, latinisé, toute la scolastique dont la modernité procède le lit et d'une certaine manière le "comprend". Quand elle a lieu, par conséquent, son exclusion n'est pas le rejet d'une altérité d'intrusion, elle se fait du dedans. Averroès repoussé est pour l'Europe comme, chez Freud, le refoulé pour le moi : "une terre étrangère interne". » (Incipit de la conclusion)
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Table des matières
1. – Le suspect
2. – Das Unheimliche
3. – L'homme au sable
4. – L'oeil arraché
5. – Triomphe, vendetta
6. – Dame me prie…
7. – Être mur
8. – Cet homme est possédé
9. – Deux sujets, deux hommes
10. – Miroir déformé
11. – Un pour tous. Confusion des êtres, transfert des pensées
12. – Moi, Dieu. La toute-puissance des pensées
13. – La pensée, la répétition, la mort
Tableau final
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Le problème chez lui n'est pas que l'homme ne pense pas, mais que l'intellect n'est pas là où l'individu sensible sent, là où le corps aime, avec lui. Le problème, si l'on peut dire, est que l'intellect ne sent pas.
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L'homme pense, sans doute. Cependant il ne saurait le faire qu'en s'agrégant ponctuellement l'être au-dehors qu'est l'intellect, ce qu'il ne peut que dans la mesure où, sous le seul rapport de la connaissance, quelque chose de lui, l'image, ouvre une connexion jusque-là.
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Conférence de Jean-Baptiste Brenet du vendredi 12 août 2022, tenue dans le cadre du banquet du livre d'été « Demain la veille » qui s'est déroulé du 5 au 12 août 2022
Prenons la formule au sérieux. On pense naturellement qu'il y a d'abord le jour, puis la nuit. On pense la nuit comme l'évacuation du jour, le repos de l'attention, de la veille. mais si c'était l'inverse ? S'il n'y avait de jour que sur fond de nuit, s'il fallait concevoir la vigilance comme une suite ou une réponse à la puissance qui précède ? Aristote s'en effrayait. mais nous ?
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