"Avec les étrangers, on parlait fort, ils étaient considérés comme durs d'oreille. Handicapés en tout cas, et envers les handicapés, l'on faisait preuve de bienveillance. La pédagogie pour handicapés était très développée. On ne les cachait pas dans des chambres obscures, on les sortait en groupe, chacun au bras d'un accompagnant. La faiblesse des autres était digne d'affection. Mais pour peu que les faibles prennent par trop de forces, on leur retirait cette affection."
En route vers le sommet, mes accompagnateurs cherchaient des écriteaux pour être sûrs de capter ce qui était interdit. Ils n'en trouvèrent pas et furent désemparés. Avaient-ils le droit de quitter les sentiers pédestres, de traverser un pré fauché, de se baigner dans l'étang ? [...] Enfin apparut un panneau d'interdiction, une promesse, élancée comme une jeune femme, joliment entourée de rouge, à l'écriture épaisse et noire. Ils me la lurent, triomphants."
"Je courais les fêtes pour me remplir la panse de convivialité. Mais une fête était le prolongement sans couture du travail. Les invités avaient été informés par écrit de son début et de sa fin souhaitée. [...] Un invité se joignait-il à la fête sans y avoir été convié, on qualifiait cela d'invasion. On avait intérêt à annoncer ces plans guerriers : dans trois semaines je viendrai vous envahir, disait-on quand on vous menaçait d'une visite."
"La modestie était la tenue d'apparat du pays. Quand les riches sortaient de leurs villas, ils portaient des pullovers gris déformés et des jeans délavés. Si quelqu'un se faisait remarquer dans la foule par des couleurs clinquantes, c'était forcément un réfugié sans goût."
"Chez nous, on visait quelque chose au hasard, incrédule, et si on tapait dans le mille, c'était une fête, si on n'y arrivait pas, c'était la faute de la dictature, à ce crapules, là-haut. En démocratie, la vie était dure. Une tâche était-elle accomplie, on faisait non pas une fête, on mettait sur pied un suivi, une opération intraduisible dans ma langue."