Encore un passionnant bouquin trouvé dans une boîte à livres, ou plus exactement dans le cas présent, sur une planche de la « Librairue » de Profondsart (Limal, Belgique). Avis aux amateurs : la façade du numéro 8 de rue Deladrière est entièrement recouverte de 5000 et 6000 livres, de tous les genres… et sans aucun classement !
Le texte - agréable et instructif - fourmille de citations de personnes ayant vécu cette l'époque. Je l'ai lu avec grand intérêt… et une pensée pour mes grand-mères, qui fréquentèrent toutes deux un même pensionnat religieux où les règles du XIXème siècle, terminé depuis peu, n'étaient pas encore de l'histoire ancienne.
Dans la bonne société du XIXème siècle, l'enfant commence à exister aux yeux de ses parents. Il devient héritier légal ; le cas échéant , on porte son deuil ; on le tutoie... Cependant, les marques de tendresse et les compliments restent volontairement rares, de crainte de nuire à son autorité. Et dire que certains se plaignent déjà que le respect se perd !
Bien marier leurs enfants est le leitmotiv des parents, qui élèvent leurs filles de manière à attirer les plus beaux partis. Les plus chanceuses sont élevées par leur mère, la personne la mieux placée pour leur inculquer la seule science à laquelle elles puissent prétendre : la science maternelle. Cerise sur le gâteau, certaines d'entre-elles profitent d'un jour de cours par semaine la moitié de l'année que la famille passe à Paris. Même si l'enfermement n'est la meilleure école de vie, beaucoup sont expédiées au couvent ou dans un pensionnat laïc. On ne lésine ni dans l'un ni dans l'autre sur l'éducation religieuse, si pratique pour inculquer l'obéissance, la modération et la résignation à son triste sort.
Nourriture frugale, locaux jamais chauffés, hygiène quasi-inexistante pour cause de pudibonderie, régime répressif contrariant la moindre inclinaison, punitions mortifiantes : l'endroit a tout d'un pénitencier pour innocentes. Certains pensionnats autorisent les visites familiales le dimanche, dont ne profitent que celles qu'on n'a pas envoyées au loin. Celles dont leurs parents ne veulent vraiment pas s'encombrer ne quittent même pas leur prison le temps de vacances. Leurs compagnes mieux loties retrouvent pendant un mois et demi leur campagne natale ou vont soigner leur santé dans une ville thermale ou au bord de la mer.
S'il fallait trouver un symbole de l'ambivalence de l'époque en matière d'éducation féminine, ce serait le corset, garant de bonne tenue par sa rigidité, instrument de séduction par la taille de guêpe qu'il confère.
Soudain, la liberté… de se marier … au plus vite ! Les mères mettent le paquet car les filles à marier coûtent cher à entretenir et se déprécient rapidement. Les filles ne bronchent guère. le mariage, c'est le droit de ne plus rien faire sauf la fête, et qui refuserait un prétendant (quasiment inconnu) au risque de finir vieille fille ? Tournant à 180° : il faut plaire au sexe opposé. le sexe : qu'est-ce donc ? On ne leur a même pas parlé de celui des fleurs ! La nuit de noce s'annonce douloureuse…
Commenter  J’apprécie         13
Telle est la contradiction de cette éducation cahotante : un pas en avant et un pas en arrière, une incitation au péché et un sermon de morale, une tentation et un scrupule de conscience, un mélange de dévotion et de coquetterie qui tendent à faire cohabiter dans la même jeune fille une pénitente et une minaudière, l'ange du couvent et le phénix du bal.
A force de contrôler leurs lectures, leurs fréquentations, les spectacles qu’elles vont voir, on exacerbe leur curiosité et parfois même on leur inspire le désir de se marier uniquement pour tout lire, tout entendre, tout savoir des hommes, cette peuplade pour laquelle elles ont la même curiosité qu’un ethnologue en face de cannibales.
L’utilité de ces arts d’agrément est encore plus suspecte si l’on sait que le piano survit rarement au premier enfant et que « le plus souvent, le piano reste fermé dès le lendemain du mariage pour le repos de la femme et du mari ». En somme, ces leçons n’ont d’autre but que d’occuper et de distraire les jeunes filles jusqu’à leur mariage, tout en faisant un contrepoids aux études intellectuelles qui, enseignées seules, risqueraient de les entraîner sur la pente du pédantisme. Officiellement, c’est augmenter leurs moyens de plaire ; c’est du moins ce qu’on leur dit pour leur faire aimer ces arts d’agrément
L’élan littéraire et le goût du pittoresque amènent certains auteurs à commettre de petites invraisemblances. Ainsi Théophile Gautier évoque une amazone « qui montait un cheval turc blanc comme le lait et vif au possible » mais, cher poète, les femmes ne montaient jamais de cheval blanc pour une raison bien prosaïque, c’est que les poils blancs auraient sali leurs robes qui étaient toujours taillées dans des étoffes noires, ou bleu marine très foncé !
Bien des chrétiennes sont tiraillées entre les exigences de la mode et les mises en garde de leur directeur de conscience. L’évêque d’Amiens, consulté à ce sujet par une de ses ouailles, lui répondit que l’Eglise était divisée sur ce problème, certains théologiens autorisant le rouge, d’autres le proscrivant ; « Moi, qui n’ai pas assez étudié la question pour la résoudre complètement, conclut-il, je vous permettrais d’en mettre d’un côté ! »