AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de jubilation


"Le bourreau tue toujours deux fois, par le silence et par l'oubli" nous rappelle Elie Wiesel.
Certes, mais me direz-vous, la plus grande abomination de l'histoire du XXième siècle a déjà été écrite par les historiens les plus éminents , et filmés par les documentaristes les plus engagés dans la lutte contre l'antisémitisme, ou même plus globalement contre le racisme. Et pourtant, l'hydre remue encore..
En ce début du XXIième siècle, parce que donc l'histoire bégaie encore, le devoir de mémoire par la parole, le récit et l'action , reviendraient-ils donc une véritable urgence ?
Quant au matin d'un jour très ordinaire de l'année 2016, la "grande Histoire" , - fut-elle la plus tragique et la plus douloureuse à entendre et à revivre,- vient frapper à votre porte.., vous êtes cette femme écrivain, et vous comprenez très vite que cette femme d'origine polonaise, - exilée forcée en France, et qui a donc traversé, elle et sa famille, les heures les plus violentes du XX ième siècle - et qui vient timidement vous dire qu'elle désire témoigner, vous comprenez très vite que celle-ci , âgée mais pleine de vitalité, retient courageusement en elle, un parcours de vie absolument exceptionnel ! .
Parce qu'elle connaît le style de vos écrits, elle vous fait l'insigne honneur de vous demander de bien vouloir le mettre en mots, dans un livre. Ces livres qu'elle a choyés et côtoyés toute sa vie, depuis que durant son enfance, elle lisait à haute voix à son père, -aujourd'hui disparu avec sa mère dans les camps de la mort, sans doute à Auschwitz après avoir été arrêté par la Gestapo, à Paris où dans l'urgence ils avaient dû s'exiler.
La Pologne , rappelez-vous, c'est l'un des premiers pays attaqués par Hitler, et qui s'est retrouvé comme pris dans un étau , entre les atrocités, les convois de goulag liés à la terreur stalinienne contre des millions de juifs et opposants au dictateur, et la répression antisémite qui conduira à cette politique d'extermination systématique ordonnée par Hitler.
Mais attention ! Il n'est pas question que les pages de ce livre soit la réédition d'une énième témoignage sur le génocide des juifs, qui -parce qu'il verserait dans la larmoyance et la noirceur-, n'aurait pour conséquence que d'entretenir encore et encore le désespoir ambiant, et - peut-être même, parce qu'il entretiendrait ainsi encore la victimisation du "peuple " d'Israël, - que de réveiller au final des revendications sionistes.
Non ! Vous n'y êtes pas !
Cette femme, Eugénia, appelée "Jenny" sait trop bien , pour l'avoir vécu dans sa propre chair , combien la haine est le poison qui conduit à des guerres absurdes entre les peuples, et payées extrêmement cher au prix des champs de ruines qu'elles laissent derrière elles, et du sang versé.
Non, elle veut au contraire et tout simplement, faire passer cette ENERGIE de l'ESPOIR qui, dans les épreuves terribles traversées, lui a donné la force de continuer malgré tout, à cultiver le respect mutuel, celui qui a précisément fait qu'elle a pu continuer à " se"tenir debout", à poursuivre et à aller de l'avant, dans la noblesse du courage, qui lui-même confère à tout homme,, la dignité.
Ces précisions étant apportées, il faut alors d'emblée qu'à ce niveau, le travail d'écriture de Geneviève Brizac soit une véritable épure.
Aucune sensiblerie dans les mots, aucune noirceur dans le ton, alors que sur un sujet aussi fort que celui-là , la tentation était pourtant forte d'y succomber. Et, vous lecteur, vous verrez, c'est précisément cette extrême pudeur et cette sobriété dans le style qui donnent toute son authenticité et donc sa puissance à ce récit !!
Très vite aussi, vous êtes également intrigué par la technique du récit délibérément choisie par l'auteur : un récit témoignage qui doit se faire l'écho de plusieurs voix (celle de Jenny et de ses parents qui ont joué dans sa survie un rôle ô combien capital) - mais qui ne comporte pourtant AUCUN dialogue, donc aucun tiret, ni ces deux points qui, de façon classique, annoncent matériellement un changement d'interlocuteur. Observez alors avec quelle fluidité, l'auteur parvient à glisser d'un personnage à un autre, dans un petit "zig-zag" permanent, sans gêne aucune pour le lecteur , et qui maintient bien au contraire, celui-ci ainsi en alerte.
Mais parce qu'il faut aussi rendre compte des faits, rien que les faits, plus vivants encore, donc plus intemporels (car on ne sait jamais, notre vigilance à l'égard de la bête immonde peut-être se ramollit), l'auteur choisit de parler de "Jenny" avec le "Je", à la première personne du singulier et bien sûr au présent de l'indicatif. Les faits n'en sont alors que plus palpables, plus implacables : c'est comme si Jenny voulait nous dire, voyez c'était hier, mais c'est encore tout proche ; votre vie peut basculer dans l'instant : restez sur vos gardes, soyez courageux, et pour cela croyez au pouvoir de la parole et transmettez comme je l'ai fait, ce savoir extrêmement précieux, SEUL moyen de lutter contre le danger de la haine et de la tyrannie qu'elle induira inévitablement.
Voyez enfin, comme l'auteur - au moment de l'instant glacial de précipitation et de terreur qui est celui de l'arrachement des parents d'avec leurs enfants qu'ils voient donc pour la dernière fois - comment l'auteur donc, rapporte dans un style très direct, les ultimes consignes extrêmement concrètes et de la plus haute importance à ces petits qui, désormais c'est certain, devront vivre seuls !
La liste de celles-ci prises une à une est pourtant longue, mais elle tombe alors à la vitesse foudroyante d'une avalanche. Cette promptitude dans le style écrit de Geneviève Brizac marque donc l'urgence , et donne son rythme au récit.
Mais elle ne rend aussi que plus admirable le portrait de cette mère qui dans l'arrachement à ceux à qui elle tient plus au monde, garde pourtant les dernières ressources de sang froid qui lui restent , pour les armer autant qu'il est encore possible de le faire, les rendre forts contre la bestialité des "chiens". "Vivez , espérez" sont les deux tout derniers mots écrits à la vite, sur un morceau par le père.
le livre de Geneviève Brizac, étonnant de maîtrise ! , n'est donc pas qu'un simple livre document : car le souffle littéraire qu'elle y insuffle est bien la marque du talent d'un écrivain.
"Les plus grandes douleurs sont souvent les plus muettes" comme l'exprime bellement et avec justesse, Johann Stéfanson. C'est donc l'immense courage éditorial de Geneviève Brizac que d'avoir, par le prisme d'une histoire personnelle - mais ô combien imprégnée d'histoire collective - et ce sans surcharge ni fioritures, réussi à provoquer encore et pourtant, le même électrochoc que celui que nous avons tous reçu dans notre jeunesse, lors des cours de la "Grande histoire" enseignée en Terminale.
Pourquoi, dans ces conditions, ce livre ne deviendrait-il pas après tout, une ressource extrêmement précieuse pour faire la jonction entre un cours de Littérature française et un cours d'Histoire. et montrer encore et toujours, combien le pouvoir des mots, le pouvoir des livres et de la culture, sont fondamentaux pour faire progresser la paix si précieuse entre les hommes.


Lien : http://pauline.tanguy@orange..
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}