N'est-ce pas avec cette force que l'amour devrait être vécu, tout le temps ?
Il y a des lectures que l'on entame sans grande conviction, parce qu'on se demande si la thématique méritait vraiment un nouvel ouvrage. Mais on se laisse prendre par le style et, en ce qui concerne cet ouvrage, par la candeur. Au fond, si la plupart des histoires (d'amour, au cas présent) finissent toutes par se ressembler (qu'est-ce qui n'a pas encore été écrit, de nos jours ?), c'est la manière dont elles sont contées et la plume de l'auteur qui font la différence.
Et celle de P. Z. Brite est, ici, simple, plaisante, elle vous promène, vous fait sourire, vous rend triste, pour les personnages auxquels elle donne vie. Ne sont-ce pas là les premières vertus que l'on doit trouver dans un roman ? Dans
La valeur de x, l'auteure nous fait remonter dans le temps, à l'époque ou Rickey et G-Man (principaux personnages de
Alcool,
La Belle Rouge et South Kitchen, trois de ses autres romans) n'étaient encore qu'adolescents. Elle nous ramène à l'époque où tout a commencé : leur amour ; leur passion pour la cuisine ; leurs premiers déboires avec l'
alcool et la drogue… Puisqu'il s'agit ici de leurs origines, nul besoin d'avoir lu leurs péripéties futures pour comprendre.
Dans cet opus (assez ancien, dans sa version américaine originale), elle nous fait voyager sur le terrain escarpé des sentiments amoureux partagés par deux jeunes garçons qui découvrent leur sexualité dans un milieu puritain ; sur l'incroyable force que ces sentiments peuvent revêtir et sur les dérives auxquels ils peuvent conduire lorsqu'ils sont contrariés ; sur le chemin « remplis de bonnes intentions » de ceux qui les considèrent « contre-nature ». le tout, sous le soleil de la Nouvelle-Orléans et dans le contexte original d'une passion avérée pour la cuisine.
Gary et Rickey se connaissent depuis l'enfance et sont inséparables. Ils sont amoureux l'un de l'autre mais taisent leurs penchants. Lorsqu'à seize ans, ils s'avouent finalement leur amour et le consomment, tout devient plus simple… et plus compliqué. Bien qu'ils gardent le secret, leurs parents ne sont pas dupes et, pour leur plus grand bien, vont se servir de la passion de Rickey pour les séparer. Ils vivront cet éloignement comme une déchirure et tenteront de combler l'indicible manque de l'autre en se réfugiant dans l'
alcool et dans la drogue. Mais rien n'y fera. Leur amour sera plus fort que ses détracteurs.
« Plaisirs »
L'auteure dépeint avec simplicité, souplesse et candeur une romance chahutée par un environnement qui lui est défavorable. Sans les caricaturer, elle nous attache à deux adolescents qu'elle construit très différents l'un de l'autre et qu'elle fait souvent réagir à l'opposé de ce à quoi l'on pourrait s'attendre compte tenu de leur personnalité respective. Elle leur oppose un environnement familial dont elle maîtrise l'hostilité, ce qui le rend plus réaliste. Elle imagine avec talent les chemins torturés (mais tellement compréhensibles quand l'amour s'en mêle) sur lesquels se perdent leurs pensées lorsque l'éloignement et la solitude les font douter. Elle donne vie à leur détresse sans sombrer dans le mélodrame, la rendant ainsi plus poignante. Mais, surtout, elle nous fait vivre l'histoire à travers les yeux de l'adolescence (ceux que nous avions, jadis), là où les sentiments sont insubmersibles et la peine dévastatrice ; à une époque (bénie ?) où tout est vécu de manière beaucoup plus intense. Là où tout est plus beau, plus fort, plus triste… comme dans l'ouvrage.
Et on ressort de là en se demandant, finalement, si ce n'est pas avec cette force que l'amour devrait être vécu, tout le temps. Bref ! Une réussite, à laquelle Brite nous avait habitués, mais dans une version plus apaisée.
« Regrets et reproches »
Il manque peut-être une chose à cet ouvrage (mais on le dira sur le bout des lèvres) : une intensité dramatique qui se perpétue jusque dans le dénouement ultime de l'histoire. Parce qu'il y a fort à parier que, dans la vraie vie, les choses n'auraient peut-être pas été aussi simples. Et on en vient presque à regretter qu'il ne s'agisse que d'une fiction. Peut-être parce qu'elle finit bien ? Peut-être parce que les sentiments triomphent, envers et contre tout ? On a certainement perdu l'habitude… Peut-être aussi parce que la force de ces adolescents face à l'adversité témoignait d'une maturité dont seul un adulte plus expérimenté aurait pu faire preuve (et encore).
Voilà l'équation impossible : réfléchir comme un adulte mais continuer (toujours) de vivre comme un adolescent. Ne serait-elle pas là,
la valeur de x ?
Darren Bryte
Lien :
http://www.lelitteraire.com/..