Livre lu dans le cadre de mon Défi Lectures 2024, item "Un livre que j'ai envie de lire".
Acheté en brocante en mai 2023, j'avais effectivement envie de lire ce premier livre de
Denis Brogniart, pour plusieurs raisons :
1/ parce qu'il s'agissait d'un récit et non d'un roman, et que je suis une passionnée des témoignages et autres récits de vie.
2/ parce que j'avais vraiment apprécié le livre de Jean Michelin Ceux qui restent qui évoquait le vécu de plusieurs soldats.
3/ parce qu'il me semblait que les témoignages de soldats évoquant les troubles de stress post-traumatique (TSPT) sont tellement rares que si l'un d'entre eux émerge, c'est intéressant de le découvrir.
4/ parce qu'enfin, mon fils aîné a été un engagé dans l'Armée de Terre durant plusieurs années, il a lui-même été sur différentes OPEX (missions à l'étranger), et il me semblait qu'à travers ce témoignage, j'en connaîtrais plus sur ce qu'il avait pu vivre (car, bien sûr, il ne m'en a jamais parlé).
Je précise que je ne connais pas plus que ça
Denis Brogniart (Je ne suis pas une fan, je ne connais pas du tout l'émission qu'il anime, ni ses talents de journaliste). Ce livre aurait été écrit par une tout autre personne, il m'aurait intéressée tout autant.
Il s'agit donc d'un "récit" de la vie d'un soldat Stanislas Karten (les noms des principaux protagonistes ont été changés par souci de préserver leur anonymat) dont selon l'auteur "70 % relèvent de la parole vraie exprimée par ce soldat, et 30 % sont de son jus pour pallier les trous de mémoire dudit soldat". Il faut savoir que
Denis Brogniart est le parrain d'une association s'occupant de blessés de guerre. C'est donc dans ce cadre que, durant la crise Covid, il a été amené à échanger durant de longues heures, principalement au téléphone, avec un soldat (blessé psychologiquement) qui lui a confié des étapes signifiantes de son parcours professionnel et de son parcours de vie privée. Etapes qui s'entrecroisent dans le temps et dans l'espace et qui sont caractérisées chez Stanislas par des changements radicaux de personnalité et de comportement.
La forme de ce récit est intéressante : tantôt c'est un narrateur omniscient (l'auteur) qui évoque les faits et les ressentis de Stanislas et de Marie (sa compagne), voire d'autres protagonistes ; tantôt c'est Stanislas lui-même qui parle.
A l'instar de son grand-père adoré (son héros) qui s'est illustré au cours de la Seconde guerre mondiale, et malgré l'opposition de ses parents qui lui témoignent que très peu d'affection ni d'intérêt, Stanislas se sent très jeune une vocation : celle de servir la France et de donner sa vie à l'armée de terre (mais, attention, pas comme un militaire gratte-papier, mais bien plutôt comme un soldat et combattant de terrain, car il sait qu'il a ça dans le sang).
Il fera donc tout pour devenir, très (trop ?) tôt, un soldat exemplaire sur lequel tant sa hiérarchie que ses hommes pourront compter. Et après avoir fait le Kossovo, le Tchad, le Gabon, l'Afghanistan, puis le Mali avec l'opération Serval, il est clairement devenu un combattant expérimenté et un exemple pour ses hommes qui l'apprécient. Clairement, ses faits d'armes, ses actes de bravoure, ses décorations témoignent de son engagement entier qui est largement reconnu.
Tout irait bien dans le meilleur des mondes du sergent-chef Karten s'il n'avait qu'à être un militaire du rang, se déplaçant ici ou là, pour jouer au héros ou formant ses hommes dans l'univers fermé de son régiment.
Là où le bât blesse, c'est quand il doit retourner au monde réel, ce monde pour lui étriqué où on ne lui demande pas de jouer au héros, mais seulement d'être au plus près de ses compagnes, de sa femme, de ses enfants... Un compagnon fidèle, un père attentionné, un homme sobre, responsable et présent. Autant le dire : pour lui, un quotidien plus que fade (pour être bien, il a besoin de son kif d'adrénaline) dont le sens lui échappe et dont il n'a que faire.
Et là, à chaque fois, il part en vrille. C'est Dr Jekyll et M. Hyde. le livre commence d'ailleurs par une scène de violence conjugale d'une extrême violence, alors même que sa femme Marie est elle-même policière. Il part en vrille quand il cherche la baston à longueur de soirée, quand il joue de sa plastique avec de nombreuses femmes qui finissent immanquablement dans son lit, quand il se saoule à ne plus avoir conscience de ses actes, quand il ment effrontément à sa femme et la trompe sans vergogne, quand enfin il se sert d'elle comme un punching-ball car incapable d'extérioriser son mal-être d'une autre façon.
Et pourtant il l'aime Marie. A la folie, et elle le lui rend bien. Mais n'empêche, chaque fois, c'est rebelotte.
Pour le coup, il est dans sa vie privée bien loin d'être l'exemple qu'il est dans sa vie professionnelle, d'où le "presque exemplaire" du titre...
D'ailleurs, je me suis vraiment interrogée sur l'attitude plus qu'ambiguë de sa femme (elle l'a dans la peau et l'aime de façon inconsidérée) qui, parfois, a elle aussi des comportements déviants de nature à le faire exploser ou à le rendre jaloux et qui, chaque fois, aussi, le repêche et lui pardonne. J'ai éprouvé beaucoup d'empathie pour elle même si, dans le même temps, j'ai trouvé inacceptable qu'elle ne fasse rien pour dénoncer ses actes (sauf une fois) et pour se libérer de cette emprise.
Une violence qui s'exprime en direction des autres, mais aussi en direction de lui-même car Stanislas est incapable d'accepter l'idée que, peut-être, quelque chose ne tourne plus rond chez lui. Il est dans un déni complet. Sont-ce des comportements qu'il aurait eus sans l'armée ? On peut le penser tant il lui a manqué l'amour, l'attention et la reconnaissance de ses parents. Ou bien sont-ce seulement des comportements suicidaires et jusqu'au-boutistes consécutifs à ces années de combats passées sur le théâtre des opérations ? Un peu des deux sans doute, mon Capitaine. On verra, in fine, à trop sortir des limites, que le diagnostic des troubles de stress post-traumatique est finalement posé par des psychiatres spécialisés, ce qui signe la fin de sa carrière militaire.
De là, commence une véritable descente aux enfers pour Stanislas qui ne peut imaginer sa vie sans l'armée. La dernière partie évoque donc la façon dont il tentera de se sortir, avec l'aide d'une association spécialisée et de frères d'armes volontaires, de cette spirale infernale de dépréciation de lui-même et de comportements suicidaires pour aller vers la possibilité d'un avenir à bâtir. Franchement, j'ai eu mal pour lui en constatant sa déchéance et son incapacité à faire face.
J'ai particulièrement aimé que ce sujet soit abordé. La Grande Muette étant ce qu'elle est, il est à mon sens essentiel que les candidats au métier de soldat, mais aussi ceux en exercice puissent avoir accès à ce type de témoignage, pour justement être en capacité d'identifier les "signes avant-coureurs" avant qu'il ne soit trop tard. Et, n'en déplaise à Stanislas, ce n'est pas faillir que de se reconnaître des failles !
J'ai particulièrement aimé l'écriture fluide de
Denis Brogniart. Certes, le propos est parfois violent et cru mais c'est réaliste. J'ai apprécié le détail avec lequel sont décrits la violence physique et verbale de Stanislas, ses atermoiements, son déni, ses doutes, ses aspirations à être toujours le meilleur, ainsi que ses pensées souvent noires en direction de sa famille. Les scènes d'affrontements en opérations sont très réalistes aussi, fortes, et de nature à interroger sur l'impact potentiel de celles-ci sur des esprits fragilisés par la vie.
A mon sens, il est plus que regrettable que nos soldats soient soumis à de tels rythmes, à de tels traumatismes sans que plus de précautions (informer, c'est prévenir) ne soient prises avant/ pendant/après l'action et sans que plus de contrôles ne soient exercés au retour de mission. Même s'il s'agit aujourd'hui de militaires professionnels, le service aux armées et à la France ne doit pas se faire au détriment de l'individu qui fait don de sa vie, ni à celui des familles (femmes et enfants) qui, elles aussi, donnent déjà beaucoup dès lors qu'elles doivent vivre dans l'inquiétude permanente et se débrouiller sans la présence de leurs proches.
Donc, bien que difficile à lire, je recommande la lecture de ce livre pour qui s'intéresse à ce sujet (les dégâts qui peuvent être occasionnés par les troubles de stress post-traumatique non identifiés à temps) ou pour tous ceux qui pourraient avoir un compagnon, un fils, un petit-fils intéressé par la carrière militaire.