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Critique de Biblioroz


Dans le Massachusetts, à Durham, une musique inaccoutumée et bruyante résonne dans la vieille demeure des Pentland. Pour ce bal donné en vue de présenter Sybil à la bonne société, ou plus explicitement pour capturer un parti intéressant, un orchestre se déchaîne sans pour autant réussir à ambiancer la soirée. Pourtant, le champagne coule à flot afin de ne pas paraître mesquin car jusqu'ici, chez les Pentland, on a toujours été très économe.
C'est aussi l'occasion de présenter une autre jeune fille de la famille et de fêter le retour de sa mère, Sabine, après vingt ans d'absence. C'est d'ailleurs celle-ci, malgré ses quarante-six ans, qui attire tous les regards curieux devant son assurance, son élégance et son maintien, elle qui était empruntée et timide lorsqu'elle était jeune fille. Elle leur avait alors fait l'affront de s'échapper de ce clan fermé et revient, froide et triomphante, bien que divorcée, provocant l'irritation de ceux qui pensaient qu'en quittant leur cercle elle serait perdue.
Olivia, la mère de Sybil, pâle, distante, pondérée, observatrice passive mais à qui rien n'échappe, désire pour sa fille le bonheur, un bonheur intense et lumineux. Celui qu'elle a n'a pas pu saisir elle-même, mariée très jeune et avec empressement à Anson, dernier descendant franchement terne, pétri de valeurs morales, de cette illustre famille Pentland. Comble de malheur, leur fils de quinze ans, l'héritier du nom, a une santé chancelante.

Louis Bromfield excelle dans la peinture de ce petit monde puritain, cette vie sociale corsetée où les personnages sont englués, par désir, par inertie ou par devoir, dans une atmosphère déprimante, monotone, aux traditions puissantes et incontestées.
Anson, le mari totalement insipide et plein de préjugés, uniquement absorbé par la rédaction de son futur livre sur la grande lignée des Pentland, ne prend la parole que pour s'opposer aux sorties à cheval que sa fille Sybil s'autorise, accompagnant un irlandais catholique romain, nouveau propriétaire d'un domaine voisin. Il faut protéger leur forteresse et ne pas introduire d'intrus dans leur milieu de gens distingués. Sabine sera aussi indésirable, sa rancoeur issue de son éducation trop sévère supervisée par l'intrigante tante Cassie avec ses prêches, ses idées fausses sur la valeur du nom, fait peur. Pourquoi est-elle revenue ?
Depuis le retour de Sabine, Olivia, outre une grande lassitude, montre, derrière sa pondération, son calme et sa courtoisie, des velléités de sortir de cette monotonie, de ce monde qui se fissure, de cette comédie d'apparences. À quelques jours de ses quarante ans, des aspirations à vivre tentent de faire surface. Une énergie intérieure, que l'auteur réussit admirablement à imposer au lecteur, vient s'opposer à la léthargie, à cette mort lente des jours vécus, à la stérilité de cette vie. Ne pas rentrer dans l'automne sans avoir encore vécu. L'auteur a d'ailleurs posé son roman sur un été avant d'entamer en fin d'ouvrage les prémices du changement de saison.
À l'image des portraits qui tapissent le hall de la demeure, Louis Bromfield détaille admirablement et sans aucune lourdeur cette famille cimentée dans une vision et une défense de valeurs archaïques qui n'ont plus cours et dont la jeunesse désire se détourner. Olivia aussi étouffe, écrasée par ce conservatisme, mais peut-elle encore échapper aux fers qui la lient à cette dynastie vieillissante voire moribonde ?

Outre ces remarquables portraits que l'auteur brosse magistralement avec mordant, le cadre esquissé vient agréablement compléter cette très belle lecture. Des fenêtres de la demeure, Olivia ne voit que la froideur et la désolation d'un paysage « inhospitalier, impitoyable et pierreux, il n'était jamais bien riant. » Sa solitude dans ce lieu, dans cette famille, la fait encore se sentir comme étrangère après vingt ans passés ici. Les intérieurs, avec boiseries, le salon victorien plein de reliques dépareillées sont les témoins de cette famille vieille de trois siècles.

Le monde des Pentland, un monde rigide, drapé dans des préjugés d'un autre âge, piétine la vérité et Louis Bromfield secoue la poussière de cette aristocratie bien établie en nous offrant cet admirable roman couronné du prix Pulitzer en 1926. Un joli coup de coeur d'un autre temps, à savourer, en accord avec la fin du texte, sur un été finissant.
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