Texte issu de rencontre en 1991 avec des personnes gravitant autour du théâtre et des élèves se formant pour s'y consacrer. Les propos , d'une parfaite clarté , permettent de mieux cerner les conceptions de l'immense metteur en scène qu'est Brook. Non seulement sur l'art théâtral mais aussi sur la « cuture » et son rôle social . Texte remarquable et très stimulant.
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J'ai écrit: "Je peux prendre n'importe quel espace vide et l'appeler une scène. Quelqu'un traverse cet espace vide pendant que quelqu'un d'autre l'observe, et c'est suffisant pour que l'acte théâtral soit amorcé". Je suis soulagé de retrouver le mot "amorcé". J'ajouterais aujourd'hui qu'il faut une troisième personne. S'il y a une personne qui se lève, une autre personne qui regarde, il y a déjà un acte. Tout y est, à condition que cela aille plus loin. Il faut ensuite la rencontre. Il faut trois éléments : une personne qui regarde, une personne qui peut être seule pendant quelques secondes, puis une troisième personne pour entrer en contact. Là, une vie peut commencer à circuler et il est possible d'aller extrêmement loin.
Tout le problème est de savoir s’il y a cette étincelle, cette petite flamme qui s’allume et qui donne une intensité à ce moment ramassé, ou pas. Car ramasser et condenser ne suffisent pas. On peut toujours réduire une pièce trop longue, trop bavarde, et cependant rester devant une chose ennuyeuse. Il est très étonnant de voir à quel point la forme théâtrale est exigeante parce que cette petite étincelle de vie doit être là, seconde après seconde.
Cela n’existe qu’au théâtre et au cinéma. Un livre peut avoir des creux mais au théâtre, d’une seconde à l’autre, le public peut être perdu si le tempo d’une scène n’est pas juste. Si je m’arrête maintenant de parler… on entend un silence… tout le monde est attentif… Il suffit d’un rien pour que ce moment d’attention soit perdu. Il est presque surhumain de pouvoir renouveler continuellement l’intérêt, trouver cette nouveauté, cette fraîcheur, cette intensité, seconde après seconde. C’est pour cela qu’il existe, par rapport à d’autres arts, que très peu de grands chefs-d’œuvre dramatiques dans le monde ; parce que le risque existe toujours, à chaque instant, que l’étincelle de vie disparaisse. Pour qu’elle soit présente, il faut analyser avec précision les raisons de son absence dans les autres moments. Pour cela, il faut observer avec clarté le phénomène.
La question va très loin. Ce que l’on appelle la composition, construire un personnage, est un acte de construction progressive. A mon avis, cette méthode-là n’est pas le chemin créatif. Le chemin créatif est de faire une multitude de constructions provisoires en sachant que même si on a l’impression d’avoir trouvé le personnage un jour, cela n’est que temporaire. C’est seulement ce que l’on peut faire de mieux ce jour-là, mais il faut se dire que la vraie forme n’est pas encore là. La vraie forme n’arrive qu’au dernier moment, parfois même au-delà du dernier moment. C’est une naissance. La vraie forme n’est pas comme la construction d’un bâtiment, la suite d’une série d’actions constructives et logiques. Au contraire, le vrai processus de construction est en même temps une sorte de démolition. Cela veut dire que l’on s’achemine de plus en plus vers la peur, comme toute démolition. On crée un vide, on a moins de béquilles, moins de supports, on est de plus en plus en danger.
Notons que même lorsqu’on arrive à des moments de créativité véritable, dans une improvisation, dans une répétition ou dans une représentation, il existe toujours des risques de détruire cette forme, de la brouiller.
La vie quotidienne consiste à être n’importe comment. Si l’on passe un examen ou si l’on parle avec un intellectuel, on ne sera pas n’importe comment dans la pensée ou dans la parole, mais on le sera dans le corps. Avec une personne souffrante, on ne sera pas n’importe comment dans les sentiments, on sera doux, attentif, mais la pensée sera floue ou confuse, le corps aussi. Au contraire, si l’on fait un travail très délicat d’artisan, d’horloger, de couture, le corps entier sera mobilisé jusqu’aux doigts, mais la tête pourra rêver.
Pour être parfaitement clair sur les intentions que l’on échange avec l’autre personne, intellectuellement, sans trahir le vrai sentiment et que le corps soit juste et en équilibre, indiquant cela avec la plus grande sensibilité, on voit qu’aucun des trois éléments qui nous composent – pensée, émotion, corps – ne peut être « n’importe comment ».
Le principe du "sponsor" est une chose tragique qui entre dans notre monde. Le seul intérêt d'un sponsor pour un évènement théâtral c'est de pouvoir faire venir ses clients et leurs femmes. Il faut donc que le spectacle soit conforme à l'idée qu'ils se font de la culture :que ce soit beau,joli et ennuyeux.
Cela fait soixante ans qu'il vit de sa plume, et rien que de sa plume. Romancier, scenariste, essayiste, dramaturge, mais avant tout conteur, Jean-Claude Carriere se demultiplie en de brillants avatars. de l'enfance a la ferme, sans un livre ni une image sur les murs, mais avec sous les yeux les magnifiques paysages du Languedoc, a son cher 9e arrondissement de Paris, la route a ete parsemee de rencontres exceptionnelles, desquelles decoulent de fructueuses collaborations. Luis Buñuel, avec qui il ecrit le Journal d'une femme de chambre, Belle de jour et le Charme discret de la bourgeoisie. le cher ami Peter Brook, avec qui il se lance dans l'aventure du Mahabharata, et qu'il voit encore deux fois par semaine. Mais aussi Pierre Étaix, Milos Forman, Jacques Deray… Jean-Claude Carriere est avant tout un merveilleux « passeur », et c'est bien pour cela que Jack Lang l'avait choisi pour creer la Femis. L'ecouter se raconter avec modestie, gentillesse et drolerie, c'est toujours la promesse de nouvelles histoires.
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