La communauté scientifique sera dans doute heurtée que j'utilise le mot "écologie" pour parler d'un champ bien plus vaste que celui de l'environnement. Mais nous ne nous trouvons jamais en dehors de l'écologie en devenir : nous en faisons partie. "Nous sommes une partie de cette Nature dont nous suivons l'ordre", nous dit Spinoza. nous évoluons par rétroactions successives dans le monde vivant. Ernst Haeckel, dans sa définition originale, sans sa dérive moderne qui tend à exclure l'homme, désignait bien l'écologie comme "la science des relations des organismes avec le monde environnant, c'est à dire dans un sens large, la science des conditions d'existence". Les lois de la systématique s'appliquent à une forêt-jardin comme à un cerveau humain ou à un cercle d'enfants. et je prendrai donc la liberté de parler d'écologie "sociale","corporelle" ou même "relationnelle" pour évoquer la complexité et la réciprocité des liens, fragiles et agissants, que nous entretenons avec les autres, avec le monde, avec nous-même. J'ai l'intuition que la disparition de la nature sous des monceaux de déchet en plastique est à relier à la disparition de la poésie. (p.52-53)
Catherine Larrère explique que les retards dans la connaissance des inégalités environnementales témoignent précisément de la difficulté à relier les dimensions environnementales et sociales de nos sociétés et de nos vies. Comment ne pas voir le parallèle entre le traitement que nous faisons subir à la nature et celui infligé aux hommes dans certaines usines ? Une étude de l'Académie nationale des sciences américaine décrivant les coûts environnementaux de la mondialisation économique depuis 1961 montre que les pays les plus riches, par leurs activités, ont généré 42% de la dégradation de l'environnement à travers le monde tout en assumant seulement 3% des coûts qui en résultent. (p. 51)
Louise Browaeys - Fais battre ton tambour