Howl Mountain, Caroline du nord, 1952. Rory Docherty, après avoir perdu une jambe pendant la Guerre de Corée, revient s'installer auprès de sa grand-mère, Ma. le soir venant, il monte au volant de son coupé Ford, surnommé Maybelline, arpente les vallées et les sentiers forestiers et livre, pour le compte du vieil Eustace, le bourbon distillé aux bars clandestins, maisons de passe et bungalows miteux. Et ce n'est qu'à l'aube qu'il rentre chez Ma. Parfois, ils vont ensemble rendre visite à sa mère, Bonni, devenue muette et internée en hôpital psychiatrique depuis un terrible accident survenu trente plus tôt. Un épisode bien sombre que le jeune homme va essayer de comprendre. Mais, bientôt, les ennuis ne vont pas tarder à pointer le bout de leur nez : le trafic d'Eustace est dans l'oeil du viseur du shérif et d'un agent fédéral de Washington et un certain Cooley Muldoon cherche à se venger de la déculottée reçue par Rory...
Trois générations habitent ce roman profondément noir de Taylor Brown : Ma, la grand-mère, guérisseuse par les plantes, assise sur son rocking-chair, un fusil sur les genoux, qui a perdu son mari pendant la première guerre mondiale ; Bonni qu'un terrible drame survenu en 1930 a rendu muette et qui, aujourd'hui, dessine des oiseaux et enfin, Rory, revenu estropié de la guerre de Corée, qui va tenter de venger sa mère. Autour d'eux, Eustace, véritable baron du commerce local ; Eli, son neveu et grand ami de Rory ; l'intrigante Christine ou encore le déjanté pasteur Adderholt. Une galerie de personnages sombres, singuliers, meurtris et parfaitement dépeints, au coeur d'une Amérique rurale et désenchantée. Entre vengeance, coups bas, trahisons, trafics, secrets de famille, amour et haine, ce roman haletant, à l'ambiance oppressante et de plus en plus inquiétante, se révèle au fil des pages pour ne plus vous quitter, une fois la dernière page tournée. de sa plume riche, descriptive et travaillée, de son style remarquable, l'auteur nous plonge littéralement au coeur de ces années 50.
À la fois émouvant et éprouvant...
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« Les montagnes semblaient planer sur l'horizon comme de la fumée , de toutes , Howl-Mountain était la plus haute et la plus sauvage » .
« L'amour qu'ils se portaient les avait faits souverains de cette terre. Ils étaient tout- puissants , sauf pour ce qui concernait les battements du coeur de l'autre » .
Deux extraits de ce roman puissant qui aurait pu figurer dans la catégorie nature writing tellement l'observation de la nature est minutieuse, les descriptions poétiques riches de rives fraîches et ombreuses, de sentiers forestiers , de vieilles routes en lacets , d'eaux noires et d'arbres formant des voûtes , précipices Route 321, au coeur de L'Amérique rurale, en Caroline du nord , années 50.
Ici les habitants de Howl-Mountain se rappellent leur vallée , autrefois prospère, puis inondée en 1931, par certains promoteurs pour produire de l'électricité .
Les personnages de ce roman noir , haletant, aux multiples facettes ne nous laissent pas un instant de répit.
Rescapé de la guerre de Corée , où il a perdu une jambe, Rory Docherty de retour chez lui convoie , en toute illégalité le précieux tord - boyaux ,alcool clandestin : le bourbon , au volant de sa Maebelline, nom donné à son monstrueux coupé Ford, pour le compte d'Eustace Uptree , l'un des barons de la contrebande locale , amant occasionnel de sa grand-mère , Ma, auréolée d'une bonne dose de sorcellerie salvatrice , guérisseuse , rebouteuse, dénicheuse de plantes récoltées dans la montagne , initiée autrefois par une vieille femme qui lui avait livré ses secrets .
Grâce à sa connaissance des plantes , elle soignait toutes sortes de maux , les épouses venaient chercher des remèdes ancestraux , des poudres à verser dans le verre de leur mari qui leur ramèneraient de la vigueur entre les jambes , ,ancienne prostituée , et bonne tireuse, elle possède fusil et cartouchière , un sacré personnage , la guerre lui avait enlevé son homme , resté en terre de France .
Rory , lui, tente de se reconstruire et de résoudre le mystère de ses origines .
Sa mère Bony , muette et internée en hôpital psychiatrique n'a jamais pu lui révéler .
Mais le jour où le shérif du comté jusqu'alors bienveillant , en échange de quelques billets , a décidé de changer les règles du jeu sous la pression croissante des trafiquants , Rory devient la cible de règlements de compte obscurs , violents comme l'avait été sa mère , d'ailleurs, plusieurs mois avant sa naissance .
S'ensuivront à déjouer la surveillance des fédéraux embuscades, courses poursuites au volant de son bolide monstrueux dans les méandres de Howl Mountain , vengeance ..
Entre trafics illégaux , contrebandiers , alambics clandestins , cérémonies religieuses exaltées ,teintées de sorcellerie, courses automobiles à fond la caisse, ronflements de moteurs frelatés, , corruption , tous les personnages semblent porter en eux une malédiction , j'allais oublier l'ivresse de la bouteille et les fantômes d'un lourd passé qui explosera à la fin .
Les personnages paraissent se démener sans cesse , en proie , à leurs démons sauf l'inaltérable Ma, assise dans son vieux rocking-chair se balançant , la pipe à la bouche ,le fusil dans les mains .
Ils s'exposent à la foudre des dieux .
Ce livre haut en couleurs , puissant , violent , attachant , sauvage, à l'atmosphère inoubliable, qui ne laisse pas un instant de repos au lecteur montre une Amérique démoniaque , noire , livrée à des croyances oubliées , aux moeurs brutales , à la pire des corruptions, dans ces coins reculés .
La plume est chatoyante, sensuelle, pėtrie de sensibilte , envoûtante, descriptive, travaillée et poétique.
L'auteur , que je ne connais pas possède un immense talent de conteur .
À suivre donc!
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C’est encore le cas de Taylor Brown, dont le premier roman, Les dieux de Howl Mountain (Gods of Howl Mountain), déploie avec beaucoup de grâce une atmosphère à la fois enveloppante et déchirante.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Bourbon de contrebande, traumatismes de la guerre de Corée et vengeance implacable : avec son roman déglingué, l’écrivain Taylor Brown rince l’âme américaine.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Rory regardait par une fissure dans la porte. Les gens hurlaient à présent, et ils dansaient au son de crécelle des tambourins qu’ils frappaient du talon de leurs mains. Trempés de sueur, le visage tout relâché comme les revenants dans les contes, débordant de plaintes et de cris haletants. Ils tournaient sur eux-mêmes et martelaient le sol, les bras levés comme des candélabres, les mains en coupe comme si elles contenaient de l’eau bénite ou du feu.
À dix-neuf ans, j'avais déjà tué une centaine d'hommes, qui pleuraient leurs mères, le corps pris dans les barbelés, pendant que ma mitrailleuse Lewis les taillait en pièces. On dit qu'en trois jours, près d'un million d'hommes sont tombés dans la Somme. Je n'ai aucun doute là-dessus. Comme des hordes de singes casqués et équipés des pires joujoux que leur cerveau de primates avait pu inventer, qui se massacraient les uns les autres. Pensant tous dans leur tête, qu'ils étaient uniques au monde, créés par Dieu à son image. Un dieu dément, certainement, ou aveugle, ou qui bandait quand des garçons hurlaient son nom, les tripes à l'air. Je les ai regardés dans les barbelés, avec leurs masques à gaz et leurs casques comme des seaux à charbon, qui détalaient dans tous les sens, et très vite ils n'ont plus été pour moi que des fourmis. Toutes ces meutes d’hommes sans nom, je les ai vues comme Dieu les a peut-être vues d'en-haut, fauchées au bout de ma mitrailleuse, criblées d'impacts rougis comme sous un verre grossissant. Et très vite, ça ne m'a plus rien fait. Si j'avais pu, je les aurais tous tués. Il n'y avait pas d'autre dieu pour moi que ma mitrailleuse Lewis.
Chaque jour de sa vie, jusqu’à ce que l’hôpital psychiatrique la lui prenne, sa fille avait eu de quoi manger, qu’importent les péchés que ça lui coûtait. Ensuite, elle avait pris soin de Rory. C’était pour le protéger qu’elle avait suspendu des bouteilles dans l’arbre. Quand il était parti en Corée, elle n’avait jamais cessé de prier. Pas le dieu des églises, mais le sien propre. Celui qui siégeait pas loin, peut-être plus haut dans la montagne. Car c’était là une demeure idéale pour un dieu, bien plus qu’un bâtiment ou un livre. Ici, on la comprenait. Elle était rusée, bien sûr, mais pas hypocrite. Toute sa vie, elle s’était battue comme une bête. Le Christ ensanglanté, cloué nu et hurlant sur la croix – les os fendus par le fer de la lance, le corps fouetté jusqu’à la chair -, était un dur au mal. Pour sûr, il avait du cran, un cœur de fauve. Comme elle. Tout le reste, elle n’en avait rien à faire.
La lune perçait les bois de ses rayons pâles et le vent soufflait par intermittence sa plainte entre les arbres. Le sentier n'arrêtait pas de monter, vers les ténèbres menaçantes du sommet. Et vers l'océan de nuit qui couronnait le tout de son étrange parure d'étoiles.
Sous le ciel comme un dôme violet, les premières chauves-souris virevoltaient en virages serrés dans les dernières lueurs du jour. Il avança dans la prairie mauve, les regardant chasser en zigzaguant selon des trajectoires tortueuses et extraordinaires. Il prit les vieux sentiers de sa jeunesse, entretenus en son absence par les hardes de daims qui glissaient comme un flux d'énergie quasi liquide à travers bois, par les ours bruns en balade ou la panthère solitaire qu'on disait la dernière de son espèce à vivre dans ces montagnes et qui venait sauter, un an sur deux, sur le toit d'une cabane pour hurler comme une femme bafouée. Les arbres l'enveloppaient à présent, serrés les uns contre les autres face à la lumière résiduelle, avec leurs feuilles agonisantes qui chuchotaient dans leur langue très ancienne.