...tu sais également que l'arbre qui dépasse la forêt ramasse seul la tempête.
La sourde cacophonie carcérale. Hors les ateliers, Lukasz restait volontiers seul dans sa piaule. Il écoutait seulement les bruits. Le brouhaha des couloirs, le tintouin des télés et la criaillerie des radios, les appels d'une cellule à l'autre, le raclement des portes ou le claquement de grilles lourdes, des cliquetis des clés, le grincement sec des serrures, des phrases inachevées, des pas lourds et des frottements, le tapage morse sur les tuyaux.
Et le tapement de ses pensées aussi.
Cette colère qu'il porte en lui, sans qu'il sache d'où elle vient, d'où elle sourd, une tache aveugle, un truc qui lui colle à la peau ou aux tripes depuis quand ? Telle une malédiction originelle, depuis toujours peut-être, une tare constitutive, un défaut de fabrication, une anomalie foncière , et qui génère cette énergie terrible. Ou une rancœur obscure, comme la blessure d'être au monde, cette contrariété parce qu'on n'a rien demandé, ni demandé de venir dans ce bled où, de l'amour justement, il n'en est jamais assez.
Vous savez, pour mobiliser, il faut des armes : les mots, les formules, les slogans sont de tels outils, rétorque Zoé. Je préfère d'ailleurs parler outils que armes.
Comme cela, Carlo fut engagé laveur de vitres. Car c'est à cela que servent les poètes, laver les vitres des gens et les binocles des robots. Quand c'est propre, il y a parfois des chances qu'au-dedans s'éveille un peu de vent.
Va, je dirai à ton père et à ton ami que la prière intérieure est plus vraie que le voile et que la sagesse est de respecter l'esprit et sa liberté.
Maître, j'ai compris que le voile que l'islam commande de porter n'est plus celui que me demandait de porter mon père. C'est le voile que l'on baisse en dedans de soi, sur les désirs de son coeur et l'agitation de ses pensées. Devrai-je le porter vraiment sur ma tête comme veulent toujours me l'imposer mon père et mon mari ? Car c'est le vent que je préfère sentir dans mes cheveux, et ma tête nue plongée dans la liberté infinie des cieux.
A propos de noms justement, Allah c'est même pas le nom de Dieu puisque personne ne Le connaît. Allah, c'est seulement la 99 ème appelation, si j'ai bien appris, on pourrait en inventer des millions encore que toujours on serait à côté de la plaque. On s'en fout des noms après tout ! Et puis comment être fidèle à quelque chose ou quelqu'un qu'on connaît pas ?
On a toujours besoin d'un ennemi pour se valoriser et exister, non ?