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EAN : 9782810006243
592 pages
L'artilleur (25/03/2015)
3/5   1 notes
Résumé :
Une frontière, ce n est pas seulement une ligne sur la carte. C est un combat qu on enterre, un ancien ennemi qui devient un voisin. C est la fin d une juridiction et d un mode de vie et le début d une autre réglementation et d une autre culture. C est toujours une trace de l histoire, une blessure qu on a soignée mais qui peut se rouvrir. C est l attribut d un monde où l on peut distinguer entre « nous » et « eux », et où ainsi les hommes qui s identifient peuvent ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Sur les plateaux de Canal Plus et de France 2, dans les colonnes du Figaro (où Eric Zemmour lui consacre une recension élogieuse), de L'Express (où son interview est toutefois précédé d'un avertissement précisant que sa voix est « contraire à la ligne éditoriale de L'Express ») ou du Point, on fait grand cas du livre de Thierry Baudet. Néerlandais (comme son nom ne l'indique pas), professeur de droit public à l'université de Leyde, il est l'auteur d'un ouvrage roboratif de près de 600 pages qui constitue une impressionnante démonstration en faveur du souverainisme, qui nourrit – même si l'auteur professe une neutralité prudente – la droite nationaliste, à rebours du discours dominant humaniste et internationaliste.
Il ne s'agit pas d'un pamphlet populiste mais d'une rigoureuse démonstration juridique. Avec une belle audace, ce jeune professeur de 32 ans à peine entend se placer sur le même terrain que les grands penseurs de l'État de droit dont il critique systématiquement les constructions : le contrat social de Rousseau, l'universalisme de Sieyès, la théorie de la justice de Rawls, le patriotisme constitutionnel de Habermas
L'État-nation est au centre de sa démonstration et à la base de sa philosophie. Il s'est forgé aux XVIème et XVIIème siècles contre l'universalisme impérial et chrétien en bornant ses frontières et en imposant sa loi sur son territoire. Il constitue, selon Baudet, le lieu où s'exprime la souveraineté et où se forge l'identité. La première est menacée par le supranationalisme, la seconde par le multiculturalisme. Indispensables frontières est moins un procès en réhabilitation des frontières – qu'instruisait avec plus d'efficacité Régis Debray – qu'une charge argumentée contre ces deux phénomènes qui, le premier par le haut, le second par le bas, mettrait l'État nation en péril.

Thierry Baudet fait remonter l'origine du supranationalisme à la pensée des Lumières. Cousin de l'universalisme, il se nourrit de la croyance d'un humain transcendant les particularismes que Thierry Baudet récuse. Avec Joseph de Maistre et avec les philosophes anti-Lumières, l'auteur estime en effet que « il n'y a point d'Homme dans le monde » (p. 112). Reprenant à son compte la distinction ami/ennemi qui structure la pensée de Carl Schmitt, il professe la nécessaire séparation entre « nous » et « eux ». Il présente trois cours supranationales (la Cour pénale internationale, la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour internationale de justice) et trois organisations supranationales (l'Organisation mondiale du commerce, le Conseil de sécurité des Nations unies et l'Union européenne) en leur reprochant d'imposer aux États leur autorité sans être elles-mêmes soumises à aucun contre-pouvoir. Il prône un « cosmopolitisme souverain » c'est-à-dire le retour à une coopération inter-gouvernementale sans transfert de souveraineté.
Après le supranationalisme, le multiculturalisme est la seconde menace existentielle qui pèse sur l'État-nation. Il a pourtant des origines philosophiques radicalement divergentes : il provient du romantisme allemand et d'une réaction à l'universalisme des Lumières. Il professe le respect des cultures et véhiculerait l'illusion que leur coexistence pacifique serait possible. Thierry Baudet n'est pas cet avis. Il considère que nos loyautés ne sauraient être plurielles. Dans les frontières d'un Etat, la loi doit s'imposer à tous et ne pas varier en fonction des cultures et des croyances de chacun. Thierry Baudet n'ose pas aller jusqu'à recommander l'éradication des cultures minoritaires (il prône assez confusément l'avènement d'un « nationalisme multiculturel ») mais estime que, parmi les différentes cultures existantes au sein d'un État, existe une culture dominante (Leitkultur) dont les valeurs fondamentales doivent primer lorsqu'elles rentrent en conflit avec celles de cultures minoritaires.

La charge menée contre le supranationalisme vise souvent juste. La Cour européenne des droits de l'homme donne parfois l'impression de défendre une culture droits-de-lhommiste désincarnée ignorante des réalités locales. Les mêmes reproches sont régulièrement adressés aux « technocrates bruxellois » de la Commission européenne. Mais ces deux institutions n'usurpent pas leur mandat qu'elles tiennent du transfert librement consenti par les États-membres d'une part de leur souveraineté. Surtout, ces procès en usurpation oublient les réalités d'organisations qui sont conscientes de devoir défendre leur légitimité. L'Union européenne tente, sans toujours y parvenir, de lutter contre son « déficit démocratique » en renforçant les pouvoirs du Parlement européen ou en encourageant la subsidiarité par exemple. La Cour européenne des droits de l'homme laissent aux États-membres une large « marge d'appréciation » dans la mise en oeuvre des valeurs qu'elle défend : l'Italie a le droit d'accrocher des crucifix dans ses salles de classe (affaire Lautsi c./ Italie), la France a le droit de prohiber le port du voile intégral dans l'espace public (affaire SAS c./ France)
La récusation du multiculturalisme est une réponse simpliste à une réalité autrement complexe. le cosmopolitisme de nos sociétés est un fait acquis, héritage de notre histoire, qu'il faut accommoder plutôt que nier. Il n'est pas certain que les recettes du melting pot américain fonctionnent encore. La devise américaine (« E pluribus unum ») est belle ; mais elle participe peut-être d'un volontarisme hors d'âge. La devise européenne (« Unis dans la diversité ») est sans doute moins ambitieuse ; elle n'est pas moins belle ni moins réaliste.
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