AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Rolienne


"Novalis et l'âme poétique du monde" de Fréderic Brun, Edition Poesis, fut la belle surprise littéraire de l'été 2015.
Le délicieux lâcher prise de la chaise longue et les oeillades de la mer diamantée ne m'ont pas distraite de cet envoûtant récit, qui, tel un petit bateau glissant sur un cours d'eau champêtre, berce le coeur égaré et ravit l'âme désorientée.

En surimpression de cette vie de Novalis (1772-1801) qui nous est racontée, je revois certains épisodes de l'existence de Léopardi (1798-1837) : tous les deux eurent un père dont l'extrême rigueur morale et religieuse longtemps les retint dans le giron ancestral du domaine familial et de la croyance traditionnelle ; tous les deux aussi, comme nombre de poètes européens de l'époque, mesurèrent l'héritage de la Révolution Française, Novalis à l'aune de la Terreur qui s'en suivit, Leopardi à la promesse du bonheur collectif dont il dénonçait l'illusion. Quant à leur expérience de la médecine, elle ne sut soulager ni la phtisie de Novalis qui mourut à 29 ans, ni la tuberculose osseuse de Léopardi qui en souffrit toute sa courte vie.

Mais entre le romantique saxon et l'italien des Marches, les points de rencontre s'arrêtent là. le sombre chant sublime de Léopardi qui interroge inlassablement la lune et observe la nature n'est pas du tout au diapason de l'espérance combattive d'un Novalis, éclaireur aimant qui toujours avance avec une torche dans la poitrine.
Dans le petit matin calme et solitaire, la mer est un remède. L'action et le travail soudain apparaissent comme de vaines et épuisantes agitations. En ce temps de jachère estivale, cette biographie de Novalis prend naturellement sa place comme un baume providentiel.

Soudain je pense aux cris vides et aux situations sordides dès que le regard poétique déserte. Où se nichent aujourd'hui l'Athenaeum et sa Iéna ? Où se trouve la Saxe contemporaine, comté où naîtrait une révolution qui "symphilosophie" et "sympoétise"? Bref, où se soigner de la mondialïte aiguë et de la consoinfoïte de canapé ? Où la poésie comme recours contre les états inflammatoires du progrès ?
Ce livre donne envie de sauter dans le cercle magique de l'Athaneum, de se mêler aux conversations lumineuses de Fichte, Schelling, Schlegel, Ritter, Schleiermacher, Baader, Werner, et de goûter, avec Novalis, l'apothéose de la religion du coeur. Ce romantisme réactualisé nous plongerait enfin sous la pointe de l'iceberg du pragmatisme, dans la partie immergée de notre liberté intérieure.

Avec ses chapitres courts mais denses, sa phrase limpide et fluide, cette profonde biographie ramassée embarque doucement le lecteur dans des contrées méditatives où la raison peine à s'adapter et perd de sa superbe face à la poésie qui transcende.
Mais que l'on ne se méprenne pas ! Novalis n'est pas un doux rêveur. Son ancrage dans la réalité jamais n'est négligé. Sa vie en témoigne : intensité et sérieux de son activité professionnelle en tant que Directeur des Salines régionales, de ses hautes études scientifiques et juridiques, de son don à la figure féminine fondant l'indispensable foyer.
Car pour ce romantique qui pratique la convergence des connaissances et la tolérance des savoirs-être, "plus c'est poétique, plus c'est vrai."

L'équation poétique n'a rien d'éthéré. Sa formule intuition, initiation, inspiration, pour modulable qu'elle soit, quête la vérité qui en nous fait langue avec l'âme du monde, laquelle se retrouve contemporaine de notre ère vouée à l'énergie, l'information, la cellule. La poésie n'est pas hors du monde mais l'englobe, l'intègre, et rien ne saurait échapper à sa représentation répète Novalis (1). Son regard "relie un moment tous les mondes et pénètre l'unité secrète de l'univers" comme le développe si bien Maurice Maeterlinck, écrivain belge, prix Nobel de Littérature, dans sa préface à sa traduction de Novalis.
"Le siège de l'âme se trouve exactement là où le monde intérieur et le monde extérieur sont en contact. Là où ils se pénètrent, il est dans chaque point de l'interpénétration." (2)

Au contemporain qui se demanderait pourquoi se plonger dans la découverte de ce poète qui apparaissait tel un ange à ses proches de l'époque, on peut leur répondre que ses écrits revêtent plus d'une actualité. Parmi ses "grains de pollen", comme il appelait ses pensées couchées en fragments, relevons-en une qui concerne notre dimension économique :
"Le noble esprit commercial, le véritable commerce en gros n'ont fleuri qu'au Moyen-Age et particulièrement au temps de la Hanse allemande. Les Médicis, les Fugger étaient des marchands comme ils devaient l'être. La totalité de nos marchands, les plus grands inclus, ne sont que des épiciers."(3)

La ferveur chrétienne de Novalis ne peut que toucher le catholique d'aujourd'hui. Pour lui," le poète et le prêtre ne faisaient qu'un à l'origine" et "rien n'est plus indispensable à la vraie religion qu'un médiateur qui nous relie à la divinité. L'homme ne peut tout simplement pas être directement en rapport avec elle."(4)

L'esprit de Novalis a essaimé, formant une discrète confrérie d'illustres plumes. Parmi elles, Hermann Hesse l'a exhumé avec tant de délicatesse et de justesse que, à la maturité, je m'en vais redécouvrir cette oeuvre.

Au lycée dans les années 70, un professeur d'allemand remarquable nous plongeait dans de grands textes poétiques germaniques comme les Lieder. En bonne élève, mais avec une pointe de snobisme, je m'en délectais : inconsciente du privilège de retrouver ces horizons de civilisation, après tant d'ignorance et de blessures mutuelles.

@Patricia JARNIER – 18 septembre 2015

(1) page 35, "Poésie, réel absolu" de Novalis, traduction Laurent Margantin, édition Poesis.
(2) Page 33 "Poésie, réel absolu" de Novalis, traduction Laurent Margantin, édition Poesis.
(3) page 42 "Poésie, réel absolu" de Novalis, traduction Laurent Margantin, édition Poesis
(4) page 43 "Poésie, réel absolu" de Novalis, traduction Laurent Margantin, édition Poesis
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}