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Critique de Erik35


NOS (PAS TROP) ANCÊTRES LES GAULOIS.

Et voilà donc le second volet de l'Histoire de France en bande dessinée qui sort tout juste des forges où il a été patiemment martelé, formé, ciselé ! Magnifique projet, il faut bien l'admettre, que de remettre au gout du jour, et surtout en prenant en compte les connaissances, les réflexions, les hypothèses les plus avancées du moment, une version plus en phase avec notre monde "post-moderne" de l'histoire de notre pays. Projet audacieux s'il en est que les éditions de la Découverte entreprennent conjointement avec "La revue dessinée", une revue trimestrielle d'actualité en bande dessinée, la seule dans ce domaine à notre connaissance.

Ainsi, sous la forme d'une véritable enquête entremêlant textes de référence grecs ou latins et connaissances les plus récentes en matière d'archéologie, le Directeur de recherche au CNRS Jean-Louis Brunaux nous emmène-t-il à la découverte de ceux que l'historiographie antérieure nous longtemps présenté - et de manière absolument erronée - comme "nos ancêtres". Mais aussi comme de purs barbares sans véritable culture, lesquels auraient finalement tout appris du colonisateur romain. Il est accompagné, tout au long de ce périple tant géographique qu'historique, guerrier, intellectuel et social, d'un petit personnage sympathique, jouant les candides, qui n'est autre que le dessinateur Nicoby, aisément reconnaissable à un énorme nez arrondi et des traits relevant de l'auto-caricature.

Ces deux enquêteurs nous présenteront quelques uns des personnages par lesquels nous est - encore assez mal - connue l'histoire, la vie, la société de ces fameux gaulois : Jules César, bien entendu, auteur de la célèbre Guerre des Gaules. Mais aussi son illustre prédécesseur, moins connu du grand public et pourtant essentiel, le grec Poséidonios d'Apamée que le premier recopia d'ailleurs pour bonne part. Nous retrouverons aussi l'orateur et homme politique romain Cicéron de même qu'un certain Diviciac, qui n'est autre que le seul druide gaulois dont la littérature gréco-latine a jamais retenu le nom et avec lequel le romain s'entretient ! Notons que ces deux-là sont immédiatement contemporains de Jules César.

En sept chapitres relativement équilibrés entre planches de bande-dessinées permettant de contextualiser ces fameux gaulois dans leur milieu, leurs habitations, leur religion (ou, pour le moins, l'une des hypothèses de ce que l'on en sait, qui est assez mince), leurs traditions, leurs habitudes politiques et leurs vertus guerrières et mini-dossiers permettant d'aller un peu en profondeur dans l'analyse, Jean-Louis Brunaux s'attache en particulier à sortir ce peuple des incohérences, invraisemblances, absurdités même sur lesquelles flotte, parfois dangereusement, notre héritage culturel et historique les concernant. Ce légendaire souvent bâti de toute pièce au gré des intérêts politiques de chaque époque et qui ont fini par constituer ce fameux "roman national".

Ainsi, pas de druide faisant construire le moindre mégalithe (Dolmen et menhir sont de mille ans antérieurs aux gaulois et ces derniers n'en savaient probablement pas plus à leur égard que nous aujourd'hui). Pas de sanglier au menu mais des céréales, abondantes, des fruits, du cochon domestique, du bétail : car ce peuple était remarquablement doué en matière d'agriculture, exportant fort probablement ses surplus en direction de la Grèce puis de l'Italie romaine en échange d'huile et, surtout, de vin. Dans le même ordre d'idées, bien peu de ces forêts touffues comme on les voit dans Astérix. Au contraire, la Gaule avait été largement déboisée par cette population essentiellement rurale (peu de cités et de taille médiocre, relativement aux voisins romains ou aux grecs) et les forêts étaient intelligemment et raisonnablement exploitées pour les importants besoins (construction, véhicules, chauffage) qu'ils en avaient. Que, certes, il n'écrivaient pas - ce qui est source de toutes les hypothèses, jusqu'aux plus farfelues, les concernant, n'ayant laissé aucune trace écrite d'eux-mêmes - mais cela n'en fait pas une civilisation de barbares pour autant, l'écriture leur étant parfaitement connue mais seulement interdite par les druides pour des raisons tout à la fois religieuses et politiques. Ainsi en va-t-il d'un grand nombre de lieux communs, de contre-vérités, d'à peu près et autres images d'Épinal qui émaillent généralement, y compris dans ce que l'on a pu nous enseigner, le peu que nous gardons en mémoire de ces sacrés gaulois ! L'ouvrage est, sous cet angle, parfaitement salvateur. D'autant plus qu'il est très abordable.

Par ailleurs, dans la continuité du premier volume de cette série intelligente, les auteurs évitent de céder aux facilités de la personnification d'une époque autour de quelques personnages supposés clés. Ainsi en est-il en particulier de notre "cher" Vercingétorix, dont la destinée est remise totalement en perspective dans les quelques ultimes pages de l'ultime chapitre de l'ouvrage. Et de le remettre à sa juste place, éloignée, très éloignée de ce que la volonté politique d'un Napoléon III puis de notre IIIème République s'acharnèrent à en faire. Loin, très loin de ce parangon antique de la résistance française à l'envahisseur, allemand de préférence ! Comme le suggère l'historien, la fameuse Guerre des Gaules n'a pas eu lieu (!). Ce fut en réalité une «conquête où les gaulois ont bien plus donnés à César que lui-même ne les a pris.» Voilà pour les inévitables va-t'en guerre toujours prompts à trouver dans une histoire fantasmée les raisons futures de leurs rêves de bataille...

Permettons-nous cependant un rapide aparté, mais indispensable, avant que de conclure : le soucis de toute entreprise de ce type est qu'elle en passe par des personnalités scientifiques précises (un album = un dessinateur de Bande-Dessinée + un chercheur). Lesquelles peuvent être tenantes de telle ou telle "chapelle", de telle ou telle doxa. Ainsi en va-t-il de Jean-Luc Brunaux dont l'une des thèses les plus hardies est de contester l'existence même d'une civilisation "celte", dont il est admis par d'autres que les gaulois ne seraient qu'une des composantes (Ainsi son personnage manque-t-il de s'étouffer lorsque Nicoby/Candide évoque devant lui les celtes que seraient les gaulois. Et d'ajouter explicitement : «Ne confonds pas les celtes et les gaulois, ça n'a rien à voir.»). Il s'en explique longuement dans un ouvrage récent : Les Celtes. Histoire d'un mythe. *** En cela, il s'oppose à une assez importante tradition historique apparue principalement à partir des années 70, allant jusqu'à réfuter une langue originelle commune, une culture, des habitudes, des artisanats, etc, communs, etc. Refusant, par ailleurs, toute historicité celtique aux régions où, selon d'autres, cette culture se serait bon an mal an maintenue malgré la romanisation de l'Europe de l'ouest : Irlande, Pays de Galles, Cornouailles, Bretagne. Et de refuser tout apport de quelque sorte que ce soit de ces sources éventuelles.
Ceci est sa thèse, ici n'est pas le lieu d'en discuter en profondeur, cet ouvrage de Bande-Dessinée documentaire destiné à un public large tachant de demeurer aussi généraliste que possible et éloigné, autant que faire ce peu, de tel affrontements intellectuels. Mais ils ne peuvent être totalement neutres ni annihilés dans un ouvrage rédigé par un seul de ses tenants.

Nicoby est-il au courant de ces dissensions féroces (tempêtes dans des verres d'eau...) entre spécialistes ? J-L Brunaux souhaitait-il faire preuve d'humour face à certains de ses plus virulents détracteurs ? Quoi qu'il en soit une petite réflexion décalée de Nicoby laisse supposer que la question s'est posée puisqu'une case y fait référence dans l'album : le dessinateur tenant à fond son rôle de candide, et tandis que César et Poséidonios ont fini par en venir aux mains à force d'invectives et de désaccords, il demande à son Pangloss/Brunaux : "Il y a ce genre de dispute chez les historiens aussi ?"... Attitude gênée du personnage représentant Brunaux, transpirant à la manière d'un smiley, se contentant de répondre un fort peu convainquant : "heu..."

Mais laissons-là ces luttes picrocholines aux spécialistes de la spécialité : l'ouvrage proposé n'en demeure pas moins une bonne entrée en matière à ce monde méconnu - qui risque de le rester pour une large part et pour longtemps en raison même de la faiblesse et de l'origine des sources écrites directes (les grecs et les romains, les deux prenant les gaulois pour de vulgaires barbares, les seconds les traitant en ennemis...) - de nos "pas si" ancêtres les Gaulois mais qui furent, pour le moins, la première civilisation ayant vécu sur notre actuel territoire national et dont il nous subsiste, malgré tout, des témoignages directs avérés et encore compréhensible aujourd'hui.

*** Ci-après, un entretient de France Culture avec J-L Brunaux dans lequel il explique en quelques mots sa théorie. https://www.franceculture.fr/emissions/le-salon-noir/les-gaulois-sont-ils-des-celtes-les-celtes-sont-ils-des-gaulois
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