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Critique de Alfaric


Un album bien sympathique car bien dessiné par Diego Oddi et bien colorisé par Ruby certes, mais pouvait-il être autre que sympathique en adaptant le récit d'Éros et Psyché l'un des contes de fées les plus populaires de l'Histoire de l'Humanité ?

Tout le monde connaît le truc par coeur : Psyché est aussi belle qu'une déesse et cela irrite Aphrodite qui envoie son secrétaire Éros la punir, mais il en tombe éperdument amoureux et l'emmène vivre dans son palais pour qu'ils vivent leur amour à l'abri des regards à condition qu'elle ne voit pas son visage (car si quelqu'un apprend qui a désobéi à sa maîtresse pour protéger son amante, il va prendre cher). Évidemment elle finit par fauter à l'instigation de ses soeurs jalouses et la marâtre est alors très très en colère. Pour sa sauver sa peau Éros la largue avant d'aller se planquer, et Aphrodite rancunière impose à la princesse l'équivalent féminin des 12 Travaux d'Héraclès. Mais Psyché qui incarne la beauté et la bonté se fait aider de la création tout entière, jusqu'au « deus ex machina final » où Zeus intervient en personne pour lever les sanctions divines et réunir les amants faits l'un pour l'autre : tout est bien qui finit bien !
Alors qu'est-ce qui cloche ? Dans un album de 48 pages on accorde déjà 9 pages à l'origin story d'Éros / Cupidon, ce qui bouffe des pages qui auraient mieux fait d'être consacrées au récit principal qui finit carrément au pas de course… En plus il en existe deux, et évidemment Luc Ferry a choisi celle qui le plus en contradiction avec le récit ! (ben oui si Cupidon n'est plus le fils de Vénus, alors celle-ci n'est plus la marâtre de Psyché et cela marche vachement moins bien) Alors si j'ai bien compris Éros est le fils de l'Opulence et du Dénuement, mais non seulement cela n'amène rien, mais en plus on retrouve les divinités pauvres qui émaillent la série et qui n'ont aucun sens car si les immortels sont définitivement supérieurs aux mortels pourquoi ont-il au quotidien exactement les les mêmes problèmes qu'eux ?
Ensuite on n'a cessé de nous expliquer que les divinités sages et intelligentes étaient les garants de l'ordre cosmique par rapport aux humains miséreux donc dangereux, mais elles ne cessent d'agir de manière puérile, mesquine, cruelle et sadique comme n'importe quel crevard élitiste peu ou prou sociopathe et/ou psychopathe. Car ici Aphrodite veut châtier l'orgueil donc l'hybris de Psyché, alors qu'on voit bien que cette dernière est la modestie et l'humilité incarnées. Mais dans cet album l'évolution psychologique de Psyché est chelou : on la présence car une gentille princesse, puis elle devient une tueuse machiavélique pour se venger de ses soeurs qui ont détruit son bonheur (et en plus elle abandonne complètement sa quête de vengeance en plein milieu de sa réalisation), puis en 1 page elle redevient une gentille princesse victime de la haine et de la jalousie de sa marâtre. Et puis Éros qui abandonne son amour à la vindicte de sa patronne avant de retrouver ses couilles dans l'avant-dernière page pour amener le deus ex machina, il se pose bien aussi dans les évolutions psychologique bancales… Bref tous les changements apportés au récit d'origine tirent l'ensemble vers le bas, donc on ne pas parler d'adaptation réussie !

Alors le pompon, c'est les appendices de Luc Ferry : il a craqué et complètement fumée la moquette ! Ça démarre avec la psychologie de bazar du « trop belle pour toi », alors que la BD propose des idées autrement mieux fiches (personne n'ose aimer Psyché qui est belle comme une déesse, donc pour aimer et être aimée sur un pied d'égalité elle doit trouver quelque de beau comme un dieu et coup de bol elle trouve l'Amoûr avec Éros). Ensuite il pète un câble et part en diatribes contre Marx et Nietzsche en multipliant les citations de Platon et de Benoît XVI : mais qu'est-ce qu'ils viennent foutre ici ceux-là ? Et puis je sais bien que Luc Ferry est passé par des écoles très catholiques, mais de là à avoir une analyse complètement chrétienne d'un récit issu d'une civilisation complètement païenne c'est n'importe quoi !!! En mode grosse déconne, le scénariste de bandes dessinées Thierry Gloris expliquait tout ça 100 fois que lui : le grec a beaucoup de vocabulaire que le latin ou le français pour les différentes notions d'amour, donc ce n'est pas la peine de blablater des pages sur la réunion d'éros et agapè pour accéder au bonheur laïc et au paradis chrétien…

Encore une fois comment faire de l'analyse de mythe en refusant de faire de la mythologie comparée ? L'histoire d'Eros et Psyché correspond à la fois aux contes types ATU 425B et ATU 425C (car il s'agit bien d'un conte et non d'un mythe). Il n'apparaît dans l'Antiquité que dans "L'Âne d'Or" d'Apulée composé dans la 2e moitié du IIe siècle après J.-C., et il a eu un tel succès qu'il n'a cessé d'être copié, remanié et transformé durant tout le Moyen-Âge avec un succès qui ne s'est jamais démenti. du coup on retrouve "La Boîte de Pandore", "Orphée et Eurydice", "Persée et Andromède", mais aussi "Cendrillon", "Blanche-Neige", et "La Belle au bois dormant", ainsi que "Mélusine", "Rumplestiltskin", "La Belle et la Bête" et "La Petite Sirène"… du coup difficile de savoir si les contes de Perrault, Grimm et Andersen ne sont que des variantes du récit d'Apulée ou s'ils sont issus d'un fond plus ancien. Mais après tout Apulée était africain avant d'être européen, berbère avant d'être romain et les dernier travaux ethnographiques tendraient à prouver qu'Apulée auraient lui-même copié, remanié et transformé plusieurs contes nord-africain comme "L'Oiseau de l'orage" ! Tout cela est passionnant, et d'autant passionnant qu'il également passionné de grands psychologues : les jungiens Erich Neumann et James Hillman, et les féministes Christine Downing et Carol Gilligan. Pour résumer leurs travaux qui ont comme lien commun la place de la femme dans la société, la guerre des sexes n'aura jamais de fin car on « couche » toujours avec l'« ennemi »...
Lien : http://www.portesdumultivers..
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