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Critique de Alfaric


Face aux dessinateurs de mangas qui sortent 48 pages en 2 semaines et face aux dessinateurs de comics qui sortent 48 pages en 2 mois, il est difficile de fidéliser un public avec des dessinateurs de bandes dessinées qui font 48 pages en 2 ans… Donc de plus en plus d'éditeurs ont opté pour la formule gagnante de la collection thématique où interviennent plusieurs auteurs (les puristes crient à l'hérésie, mais il fallait bien trouver une solution pour ne pas dépérir encore davantage face à la concurrence). C'est dans cette optique que Glénat lance sa collection "La Sagesse des mythes", qui veut faire découvrir les textes fondateurs originels (des récits du Ier millénaire avant J.-C. conçu par et pour des gens du Ier millénaire avant J.-C., c'est casse gueule à retranscrire tel quel pour un public du XXIe siècle après J.-C.), avec l'ancien ministre de l'Education Nationale Luc Ferry au script (un repoussoir pour moi), Clotilde Bruneau au scénario (un aimant assurément), Didier Poli au storyboard (un aimant assurément lui aussi), et divers artistes pour assurer aux dessins et aux couleurs…


Je commence par la forme. Didier Poli est passé par l'Ecole des Gobelins et les studios Disney et cela se sent agréablement : le découpage est particulièrement fluide et dynamique, avec quelques effets de mise en scène vachement intéressants. Les exécutants, Giuseppe Baiguera aux dessins (déjà un vieux routard du fumetti : le réservoir d'artistes italiens est incroyable !) et Simon Champitambecco aux couleurs, nous offrent du mainstream certes, mais du mainstream particulièrement sympathique avec beaucoup d'expressivité, de mouvement et de chaleur malgré le manque détail ou de finition. On n'est pas au niveau de la superbe couverture de Fred Vignaux certes, c'est quand même du bon travail très agréable pour les yeux !

Le récit dicté par Jules Ferry et exécuté par Clotilde Bruneau se divise en 3 temps : la création de l'homme, la Boîte de Pandore et le destin final de Prométhée… On veut revenir aux sources du mythe pour nous en délivrer la quintessence philosophique mais moi j'y ai perdu mon latin… Car si Prométhée est un Bienfaiteur de l'Humanité, pourquoi finalement a-t-il été si cruellement châtié ???
La BD nous montre des dieux qui cherchent un nouveau joujou pour s'amuser et un Prométhée qui refuse que sa magistrale création soit ainsi dévoyée (notez que les dieux managers sous-traitent l'intégralité de la besogne créative, se contentant de rouler des mécaniques au pot d'inauguration ^^), mais on nous explique que les dieux veulent établir un ordre cosmique que rompt Prométhée avec des êtres humains placés par la technologie au-dessus des lois de la nature… (C'est bizarre que Luc Ferry auteur du "Nouvel Ordre écologique" se fasse ainsi l'écho des thèses du « green fascism »)
Si on voulait traiter de la condition humaine (avec un parallèle avec cette autre mythologie que constitue "La Bible" ^^), il fallait aller au bout de la démarche avec les mythes des âges et des races, celui du Déluge et de Deucalion (fils de Prométhée qui recrée l'humanité), et celui du sacrifice où Prométhée pense rouler Zeus mais où Zeus roule Prométhée : aux dieux l'immortalité et aux hommes la mortalité… Et puis il y aussi ce mythe où en volant le feu matériel Prométhée place les hommes au dessus des animaux mais en échouant à voler le feu spirituel gardé par Cratos et Bia (Pouvoir et Violence, les grands alliés de la ploutocratie) Prométhée ne parvient pas à faire des hommes les égaux des dieux (sans parler de celui ou Zeus octroie aux hommes la pudeur et la justice pour les distinguer des autres créatures, épisode en contradiction avec pas mal d'autres versions).
Tous ceux qui ont abordé la mythologie comparée savent que comme le Coyote amérindien, l'Ananzi africain ou le Loki nordique, Prométhée est un trickster, un être qui transgresse le conservatisme divin pour assurer consciemment ou inconsciemment la bonne marche de la destinée. Mais il y a presque un côté lutte des classes là-dedans : à une époque ou les forces de la nature divinisées cèdent la place à des élites divinisés (remember l'évhémérisme), l'archétype universel de la démocratisation de la technè volée aux dieux suprématistes pour être donnée aux hommes égalitaristes relève quasiment du marxisme… Alors que dans cette BD, la maxime du destin de Prométhée semble être « ferme ta gueule et obéis aux puissants, sinon ils vont te péter la gueule ! »
La 2e partie est plus classique : pour contourner Épiméthée qui respecte à la lettre les dernières volontés de son frère Prométhée, les dieux créent Pandore « celle qui est dotée de tous les dons », une femme fatale qui doit jouer le rôle des Mata-Hari car en tant qu'agente infiltrée elle doit s'assurer bon gré mal gré que la malédiction s'abatte sur l'humanité… Pourquoi les dieux font compliqué là où ils pouvaient faire simple ? C'est une vraie question ! Car au final plus machiste tu meurs, en parfaite adéquation avec le machisme de la civilisation grecque antique, et on aurait aimé un mot là-dessus en appendice : oui, mais non…
La 3e partie est simple : Héraclès libère Prométhée qui lui indique comment obtenir les pommes d'or du Jardin des Hespérides, Zeus lui pardonne tout en sauvant les apparences grâce à un stratagème, et le bienfaiteur de l'humanité obtient une immortalité que normalement il possédait déjà… Je ne comprends pas pourquoi on place un commentaire du pseudo-Apollodore au-dessus du texte d'Hésiode !

Les appendices élaborés par Luc Ferry, coordinateur du projet, sont particulièrement indigestes et comptent parmi ce que j'ai lu de plus médiocre en la matière…
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