AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Tricape


    Anne Brunswic nous offre un reportage sur le Canal de la Mer Blanche. Plus exactement, au cours d'un long séjour réalisé en 2006-2007, elle rencontre de nombreux Russes peu ou prou impliqués dans la vie de ce canal de sinistre mémoire puisque construit sous Staline en vingt mois à grand renfort de prisonniers politiques et de droit commun. Cela nous offre l'occasion de mieux nous rendre compte dans quel état (conditions de vie, opinions) se trouvaient il y a moins de quinze ans les habitants d'une partie de la Carélie, région de Russie limitrophe de la Finlande. L'auteure nous dresse une série de portraits d'individus en ne cherchant ni à les expliquer ni à les juger. Elle nous fait partager son empathie pour des personnes souvent modestes qu'elle interroge sur leur vie.

    le plus frappant pour nous autres dans ce récit-reportage est l'omniprésence de la mémoire des années noires. le nombre de familles dont un ou plusieurs membres ont été éliminés en 1937-1938 est très impressionnant ; il est, toutes proportions gardées, similaire à celui des tués de la Grande Guerre chez nous mais s'accompagne là-bas des traces de la grande peur que le Goulag a durablement inoculée dans la population. Certains comportements contemporains sont encore influencés par la terreur de cette époque. Un autre aspect fort troublant est celui de la pauvreté générale des ménages et de leurs conditions de logement. En contrepartie de ce sombre tableau, l'hospitalité offerte en toute simplicité à l'écrivaine d'origine juive démontre la bonne volonté des femmes et hommes rencontrés. On note également la relative ouverture du régime qui ne s'oppose plus (du moins en 2007) à la réhabilitation des fusillés et disparus sous Staline ni à la recherche des charniers qui entourent le tracé du canal d'ineffaçables taches noires.

      En ces temps perturbés par la guerre en Ukraine, il n'est pas inutile d'essayer de mieux connaître la Russie telle qu'elle était vers 2006-2007, c'est à dire plus de quinze ans après l'effondrement de l'URSS, de huit ans après la crise financière de 1998 (PIB divisé par deux) et de cinq ans après l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Il est troublant de mesurer sur cet "échantillon" de la Russie la profondeur de la marque laissée dans les familles et les esprits par l'ère stalinienne.

    Prétendre connaître la Russie à partir de ce seul livre serait bien évidemment faux. Mais, même si l'aire géographique et la période d'observation concernées sont limitées, le simple fait d'entrer chez l'habitant et de partager pendant plusieurs jours sa vie quotidienne aide le lecteur à moins mal mesurer l'écart qui le sépare du peuple russe. Ce livre est tout à la fois une leçon d'histoire contemporaine et un petit bijou anthropologique.
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}