Le Rire du lance-flammes

J'ai conscience de me répéter un peu plus à chaque fois en parlant de l'imagination sans bornes de Serge Brussolo, mais que dire d'autre ?
L'auteur n'a tout simplement pas son pareil pour inventer une histoire originale et délirante, pas son pareil non plus pour développer ensuite un contexte parfaitement cohérent d'un point de vue politique et sociétal.
J'ajoute qu'il se peut même que se glissent ça et là quelques messages plus ou moins subliminaux.
Bienvenue sur Pyrania la bien nommée, ici les feux et les brasiers sont sans commune mesure avec ce que vous pensez connaître, mais surtout ils sont pour ainsi dire permanents.
Sur cette planète hostile, aucun produit ni aucune technique ne peut éteindre le feu ou les braises, on déplace les immeubles, c'est ce que l'on a trouvé de plus efficace pour soustraire les habitations à l'appétit des flammes.
La suie et les particules présentes dans l'air en permanence ou presque ne sont pas sans conséquences sur la santé et la lente transformation de la population, d'autant que tous n'ont pas les moyens de se protéger efficacement...
Ici M.Brussolo nous sert une intrigue solide dans un contexte fascinant à connotation politique, je me suis régalé avec l'éternel regret de ne pas voir l'auteur développer plus encore une histoire au potentiel évident, cela-dit, ce qu'il réussit avec si peu de pages est pour le coup assez bluffant.

Un bon Brussolo des années 1980, un peu construit de la même façon que "Sommeil de Sang", c'est-à-dire autour d'une idée forte.

Sur la planète Pyrania les particularités des phénomènes chimiques locaux font que les feux sont quasiment impossibles à éteindre. Les incendies sont donc l'ennemi numéro un...ou pas.

Car la société s'est adaptée aux feux permanents et, par ailleurs, les différentes factions présentées par l'auteur ont toutes intérêt à ce qu'ils perdurent, à part peut-être les pompiers.

Mais un mythe perdure, celui de "la bête ignivome", une sorte de dragon qui crache du feux tout en possédant des fluides vitaux capables de l'éteindre, comme l'eau le fait sur terre.

A travers une série de personnages, Brussolo construit une intrigue simple autour de l'existence possible de cet animal providentiel, qui permet de développer intelligemment son idée phare d'un feu quasi impossible à éteindre. Par ailleurs l'histoire est bien adaptée au format contraint de Fleuve Noir, chez qui est paru ce roman.

Les amateurs de l'auteur apprécieront. Il existe deux autres romans qui se déroulent dans le même univers, regroupés sous l'appellation les Soldats de Goudron.

Une planète où le feu brûle lentement et ardemment mais qui ne peut pas être éteint, ni par l'eau, ni par la neige carbonique (on pourrait chipoter en rappelant qu'il faut du combustible et du comburant (oxygène) pour faire un feu et qu'il suffit de le priver d'un de ces composants pour l'éteindre, mais on va quand même accepter ce phénomène). Et la suie de la fumée pénètre la peau et génère des mutations. Dans ce livre Brussolo développe les conséquences de ces faits en décrivant une société avec les protecteurs du feu et ceux qui le combattent, avec son imagination débridée (et ses incohérences habituelles). Et comme d'habitude, une fin qui ne répond pas à toutes les pistes ouvertes. Mais l'idée de départ est très bien développée. Et je ne comprends toujours pas le lien entre les tomes de ces soldats de goudron…

Un raz-de-marée
Le style de ce livre est unique : riche, foisonnant, halluciné, flamboyant, baroque, excessif ! C'est une arme de destruction massive. Il fait mal aux apprentis écrivains qui savent déjà qu'ils ne pourront jamais manier le Verbe avec une telle dextérité. Et ça au Fleuve Noir ! Serge Brussolo a été un magicien. Ses idées hors normes, son style unique ont tout détruit sur leur passage. Ce n'est pas de la science-fiction, ce n'est pas du fantastique c'est du Brussolo. Un mélange de grotesque et de sublime. J'adore !

Ah ce pauvre David (la victime éternelle de Brussolo) ! le voila sur Pyrania qui comme son nom l'indique avec finesse , est une planète en feu .Comme toujours chez l'auteur il décrit une société adaptée à ses conditions improbables mais pour la plupart en s'y soumettant . Une société atomisée en castes , groupes , milices . Comme toujours les personnages n'ont pas d'autre perspective que supporter les souffrances que leur inflige leur démiurge.