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EAN : 9782915018219
201 pages
Quidam (10/04/2007)
4.44/5   9 notes
Résumé :
Publié en 1966, Chalut nous plonge au cœur de la condition humaine à travers le monologue intérieur d'un solitaire monté à bord d'un chalutier, parti en mer de Barents, afin de faire le point sur lui-même. Isolé du monde qu'il connaît, en proie à un mal de mer irrépressible et, surnommé le plaisancier par l'équipage, ce passager-narrateur, qui n'est autre que B.S. Johnson, y décortique son moi, revisite avec obsession ses relations aux femmes entre deux haut-le-coeu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Brian Stanley Johnson (1933-1973) dédicace son roman autobiographique à ses parents. Il se suicidera à quarante ans. La solitude existentielle qui l'étreint dès l'enfance revient en leitmotiv tout au long de son voyage en chalutier dans la mer de Barents. Embarqué comme plaisancier afin de couper les ponts et de se cogner à l'âpreté de la solitude, l'auteur se remémore les moments déterminants de son existence au gré ou malgré le roulis et le tangage du bateau de pêche. le récit entrecoupe passé et présent, scandé par la houle et le vague à l'âme. Les points de suspension, les onomatopées, « CRANNGK ! » rythment le flot des souvenirs rendus parfois pêle-mêle entre deux nausées. L'enfance avortée, les amours contrariés engendrent une amertume qui n'apparaît pourtant jamais larmoyante. L'auteur pose un regard sans complaisance sur ses mésaventures. Il cherche à retrouver le point de départ, l'instant décisif, le fait significatif où les sentiments se forment, les événements se produisent. Ainsi, un simple vol de fruits laisse une brûlure à vie : « …je devais avoir dix ans… le Directeur [de l'école] m'a fait asseoir en face de lui… Alors comme ça tu aimes les fruits, hein ?… Pourquoi les voler ? a-t-il poursuivi. Je n'ai rien dit. Si tu veux des fruits, ce n'est pas la peine de les voler : je peux t'en donner… a-t-il dit, les yeux toujours baissés… la honte ressentie par la façon dont il avait choisi de me punir, en m'humiliant, en me faisant sentir que j'étais pauvre, un voleur issu d'un milieu défavorisé… est restée gravée en moi. (p. 79) » Les expériences amoureuses navrantes sont racontées sans fard, dans une nudité qui peut décontenancer le lecteur : « …je me rappelle bien la sensation de son sein gauche, tout flasque… alors elle m'a dit, Essaie l'autre, les gosses ne l'ont pas encore tout ramolli, et je me suis dit, Seigneur ! . . (p. 21)… je me suis remis à l'ouvrage pour m'entendre dire, tu sais, je suis plutôt large, j'ai eu trois bébés : alors, je me suis dit, Seigneur !… et lorsque je me suis retrouvé à l'intérieur, sans vraiment savoir si elle était aussi large qu'elle le prétendait… elle s'est soudain mise à crier… » (p. 23) Les récits sexuels reviennent régulièrement aiguillonner la mémoire de l'auteur. le lecteur se prend à sourire en les resituant dans l'Angleterre puritaine des années soixante. Brian Stanley Johnson est aussi un écrivain inventif qui ne manque pas d'humour : « La défection de Laura… m'a pourtant fait souffrir pendant des années, j'ai revu l'image de son petit visage, la légère inclinaison des épaules quand elle marchait, ces images m'ont hanté des années durant, la manière dont elle avait fait irruption dans sa chambre, la première fois, dans son déshabillé ample et la manière dont elle m'avait littéralement aspiré en elle, dont elle m'avait fait pénétrer, à vif, les tréfonds mystérieux de sa féminité : et autres boursouflures de style. » (p. 132) Entre deux écoeurements, un souvenir heureux jaillit avec une force décuplée. Ainsi Mr. Proffitt, le bien nommé, devient le professeur merveilleux qui éveille les consciences des élèves relégués par le système éducatif anglais : « …grâce à une pédagogie hors du commun, grâce à sa seule personnalité. Ma classe de première année éprouvait pour lui un respect absolu ». Une parole de réconfort glissée par un quasi inconnu, le don d'une orange fait par le capitaine du chalutier rendent une grandeur inespérée à l'humanité vacillante. le monologue de l'auteur agit comme une thérapie, en symbiose avec le voyage en mer. D'ailleurs la couverture du livre montre une vague, à la manière d'Hokusaï, remplie de bouts de phrases. Les souvenirs dégorgent comme les poissons du chalut. Les aiglefins sont éviscérés ; les entrailles du plaisancier se tordent et se vident. Ses pensées se dévident. le lecteur déchiffre une conscience en mouvement avec ses hésitations, ses ressassements, ses phrases en suspens. La forme romanesque nourrie par la propre vie de l'écrivain n'exclut pas la vérité en se complaisant dans la fiction. La poésie affleure parfois : « L'océan est tout et rien à la fois : il est neutre:/ Les hommes s'en remettent au hasard de sa surface:/ Lui attribuent bienveillance et sauvagerie:/ Mais l'océan se contente d'être, simple et puissant. » (p. 50) le lecteur n'aura pas fait le voyage en compagnie de B.S. Johnson pour rien. Il en sortira lessivé et lavé de l'intérieur, du swing dans le sang, sur un tempo en stop-time.
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Auto-analyse et introspection face aux défis de la mémoire, à bord d'un chalutier hauturier.

Publié en 1966 (en 2007 en France grâce à l'impressionnant Quidam Editeur, dans une traduction de Françoise Marel), le troisième roman de B.S. Johnson nous propose une étonnante séance de traque mémorielle, dans laquelle le monologue intérieur haché du narrateur tente désespérément, au milieu du bruit et de la fureur des treuils, des brutales ouvertures du chalut sur le pont et des embardées des diesels, en mer de Barents hivernale, de recoller les morceaux de son identité écrasée jusque là par la vie. de la solitude glacée, insomniaque, bruyante et voulue, dans les affres du mal de mer, comme chemin vers la résurrection du moi…

Si de fugaces tranches de vie à bord du chalutier hauturier, ou plutôt des bribes qu'en discerne celui qui est, aux yeux des membres d'équipage, un « plaisancier » (ceci dit sans acrimonie particulière par eux), se glissent dans le récit, l'enjeu pour le narrateur (extrêmement proche du B.S. Johnson « réel ») est bien d'élucider, en fouillant au hasard apparent des libres associations d'idées et des coqs à l'âne provoqués, les éléments de son passé qui ont fait de lui ce qu'il est, un Britannique de la classe défavorisée, élevé par sa mère seule, puis presque abandonné par elle, « pour son bien », à la faveur des évacuations de Londres sous le Blitz en 1940, lourdement handicapé socialement et psychologiquement, en quête inextinguible d'amour et de tendresse allant au-delà de la pure mécanique sexuelle. Ayant peut-être enfin trouvé cette femme salvatrice, la plongée en soi, par cette curieuse méthode que ne renieraient pourtant sans doute ni les tenants de la psychologie introspective ni même le premier Freud, s'imposait…

L'occasion pour le narrateur et pour le lecteur de parcourir une enfance, une adolescence et de premières années d'adulte marquées par la guerre, la différence sociale, le manque de points d'appui, la raideur du système d'éducation et la morgue hautaine de tous ceux qui ont « davantage » (d'argent, d'éducation, de naissance,…) dans cette Angleterre des années 1940-1950, comme un distant écho aussi d'une autre enfance, écossaise elle, à la même période, celle du narrateur des deux parties centrales du formidable « Lanark » d'Alasdair Gray.

L'introduction rêvée, sans doute, à l'oeuvre de cet « éléphant fougueux », comme l'appelle Jonathan Coe, qu'est le trop tôt disparu B .S. Johnson (dont la biographie écrite par Jonathan Coe, justement, est aussi disponible en français chez Quidam).
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« Attention, on va jeter l'ancre, attention l'encre que l'on jette »

Oeuvre de fiction totalement réaliste, « Chalut », publié en 1966, est l'aboutissement d'une auto-expérimentation de B.S. Johnson, alors âgé de moins de vingt-cinq ans, embarqué à bord d'un chalutier en campagne de pêche en mer de Barents, pour créer une oeuvre littéraire et pour trouver sa place d'homme et d'écrivain. Monté sur ce bateau pour rester en surface, il se confronte aux raisons de son isolement, revient sur ses déceptions, tente d'apprivoiser sa mémoire, d'ordonner chronologiquement cette matière naturellement déstructurée.

«…Mais ça ne va pas durer, très vite, ils auront filé une nouvelle fois, ils n'aiment pas le voir hors de l'eau trop longtemps, le chalut, inutile, improductif trop longtemps, quant à savoir le moment précis, impossible à dire, je ne sais pas, d'ici, en bas, quant ils vont filer, mais ça ne saurait tarder, ce n'est jamais assez tôt, peut-être alors pourrais-je retourner à mes pensées, ou dormir, je préférerais dormir, bien sûr, mais penser ne pourrait mieux tomber, c'est pour ça que je suis ici, filer les mailles étroites du chalut de mon esprit dans le vaste océan de mon passé. »

Au gré du roulis de la narration, le narrateur rend compte avec force détails des activités à bord du bateau, des étapes de la pêche, de l'éviscération des poissons, puis de son intégration à bord, lui, le passager passif qui reste le plaisancier pour les autres marins, du mal de mer insurmontable qui lui retourne l'estomac, et enfin, comme les remontées des filets de pêche, des souvenirs détaillés ou flous qui lui reviennent par paquets, son enfance, la séparation incomprise d'avec sa mère pendant la guerre, les humiliations à l'école, la lutte des classes durement ressentie par l'enfant, les relations amoureuses et le sexe, encore et toujours.

Un passage comme une sorte de ventre mou au centre du livre (sans rapport avec les conditions météo à bord) n'affaiblit pas la force de ce récit : Fascination de la mer et de la mémoire qui accaparent et se dérobent sans cesse, des malaises nés du mal de mer et des souvenirs qui remontent à la surface, de l'évacuation de la bile et des mauvais souvenirs, pour cette campagne en mer qui agit comme une purge.

L'inconfort de la condition humaine ne passe finalement pas au travers des mailles du filet. Reste la solitude d'un écrivain inventeur qui nous fait lire les arcanes de la mémoire.
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Qu'ai-je ressenti lors de cette lecture ? Sur le moment, beaucoup de curiosité pour le style, pour ce qui est dit, pour cette apparente banalité de ce que Johnson a vécu et raconte. Quoique l'évacuation de Londres tout de même, vivre sans ses parents, pas si banal. Tiens, d'ailleurs, c'est le seul moment du livre où j'ai failli me lasser, trop long ce passage à High Wycombe ou était-ce moi qui avait la tête ailleurs ? Possible, car après quelques pages, j'ai replongé, ne lâchant le livre qu'avec regret, me surprenant même à y trouver une sorte de suspens : mais que cherche-t-il donc ce Johnson, là sur ce chalutier, malade comme un chien, farfouillant dans ses souvenirs, les étalant et les dépliant devant nous comme si une aiguille y était cachée, quel est le but de tout ça ?

Et à quoi bon ces longues descriptions de son mal de mer, de la pêche, des éviscérations ? Passionnantes d'ailleurs, ce qui m'étonne encore vu ce que je pensais être mon faible intérêt pour tout cela. Descriptions « secouantes » aussi, m'ont valu quelques grimaces, heureusement sans aller jusqu'au haut le coeur . . . Je disais donc à quoi bon cette logorrhée de Johnson, tous ces détails, ce travail d'introspection ? Il est clair que je ne vous en dirai rien, à vous de le lire, de le découvrir. Ce que je peux vous dire c'est que la fin m'a d'abord rendue perplexe, m'a peut-être même un peu déçue . . . non, pas déçue, surprise, du genre « tout ça pour ça », du moins en instant premier. L'instant second (et tous ceux qui ont suivis), ça a plutôt donné ça : mon dieu, quelle justesse, j'aurais presque envie de dire quelle vérité si je ne détestais pas ce mot !

Voilà, c'est ça, justesse du propos, de toute cette quête qu'il accomplit, de sa façon de l'écrire et d'en rendre compte, et surtout justesse de sa conclusion.
Lien : https://emplumeor.wordpress...
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Je n'ai pas aimé ce roman car pour moi trop de houle sur le chalut!
Partir en mer se ressourcer ok, mais partir pour vomir tout le long du voyage, être touriste parmi les pêcheurs qui marnent toute la journée dans des conditions épouvantables, pour se retrouver et faire l'introspection de soi.....Non je ne le recommande pas!
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Je veux donner une forme substantielle bien que symbolique à un sentiment de solitude que j’ai ressenti toute ma vie en choisissant de m’isoler complètement, en pratiquant une solitude radicale, en me coupant le plus possible de tout ce que j’ai connu auparavant
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C’est pour ça que je suis ici, filer les mailles étroites du chalut de mon esprit dans le vaste océan de mon passé.
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Attention, on va jeter l'ancre, attention l'encre que l'on jette
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