Tragique histoire de soumission par amour dans ce 2ème volet de la trilogie autobiographique.
Deuxième roman de
Ken Bugul, paru en 1994, "
Cendres et braises" est à la fois la suite "logique" du "Baobab fou" et la clé de voûte de ce qui deviendra, avec "
Riwan ou le chemin de sable", en 1999, la "trilogie autobiographique".
Revenue "en catastrophe" au Sénégal, où la réinsertion sociale est particulièrement délicate pour la narratrice rebelle aux catégories établies, après de longues années vécues en Europe, celle-ci nous raconte, dans plusieurs longs flashbacks, sa terrible histoire d'amour avec un cadre supérieur français, terriblement bourgeois, pour lequel elle a quitté son pays pour venir vivre à Paris et y découvrir avec une certaine horreur qu'il ne s'agissait pas de la belle histoire espérée et voulue, mais de devenir la maîtresse permanente et entretenue d'un homme infiniment moins stable et plus violent qu'il ne le laissait supposer.
Si la dégradation progressive de la situation, et sa bascule dans des accès de plus en plus fréquents de rage et de haine de la part de l'homme, divorcé à ses torts au bout d'un moment, est aggravée par les barrières raciale et culturelle, il s'agit pourtant avant tout d'une histoire "classique", tragique et contée "tout près du terrain", de transformation en "femme-bibelot" d'une part, de soumission par amour à la violence masculine d'autre part.
Le grand talent de l'écrivain reste de nous faire partager "de l'intérieur", incrédules et souffrant avec elle, cette mystérieuse alchimie qui la conduit à rester, alors que les conditions en deviennent de plus en plus abominables, aux côtés de cet homme manifestement déséquilibré (ou pire), parce qu'elle l'aime. Jusqu'à ce qu'une tentative d'internement forcé, grosse goutte d'eau, ne fasse presque déborder le vase, et la conduise enfin à fuir, et à rentrer au Sénégal où, totalement désagrégée intérieurement, tout un travail de reconstruction et de réancrage (ici seulement esquissé, et qui sera l'objet romancé de "Riwan") reste à faire...
Histoire indiscutablement poignante, d'autant plus que l'on a en tête la fière et indomptable héroïne du "Baobab fou", et que la narration est renforcée par la "distance ex post" qui est venue peu à peu solidifier et mettre en perspective les faits les plus terribles parmi ceux qui sont racontés...
"Je sentais un bonheur secret, indicible, à me retrouver dans ce décor.
"Tu sais, repris-je : je n'ai pas faim ; j'ai mangé beaucoup de choses dans le train. J'ai voyagé avec des personnes généreuses et j'ai partagé avec elles tout ce qu'elles mangeaient."
Le mot de l'espoir : générosité.
"Mais si tu tiens à ce que je prenne quelque chose, je vais boire du lait caillé frais, du vrai."
Le plaisir et la nostalgie.
Comme la Mère se donnait.
Elle était comme rétablie dans l'instinct.
Elle frémissait :
"Ah ! oui, viens voir."
Elle m'avait entraînée dans la petite pièce servant à ranger son monde d'ustensiles, d'objets, de feuilles séchées, de mil, d'arachide, de graisses de mouton et de toutes sortes de pots. Des cafetières anciennes aux couleurs fidèles, même si par endroits, un choc avait fait sauter l'émail ; des pots de confiseries, tous ces articles que la grand-mère trouvait dans les magasins coloniaux, tous ces établissements qui s'étaient installés loin, à l'intérieur du pays.
Cette époque avait laissé partout une architecture, un objet ou un sang."