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Critique de ZeroJanvier79


Il y a quelques années, les éditions Belin ont entrepris un projet ambitieux : publier une nouvelle collection consacrée à l'Histoire de France. La direction de cette collection avait été confiée à Joël Cornette, un historien reconnu spécialisé en histoire moderne, accompagné de Jean-Louis Biget pour l'histoire médiévale et de Henry Rousso pour l'histoire contemporaine.

L'ambition revendiquée par Joël Cornette et son équipe est très justement résumée dans son introduction générale :

" A l'heure de la mondialisation et du multi-culturalisme, à l'heure d'une world history de plus en plus globalisée, qui privilégie les phénomènes transnationaux et des « histoires connectées » rapprochant territoires, peuples et temporalités, proposer une nouvelle version du « roman national » peut surprendre et paraître une entreprise quelque peu étroite, enfermée dans une vision limitée au pré-carré (ou hexagonal) de la nation France.

Il n'en est rien. D'abord, parce que l'histoire ne s'écrit plus aujourd'hui comme il y a un siècle (et même un demi-siècle); Ensuite, parce que cette nouvelle Histoire de France ne se réduit jamais à un discours unique et unitaire, à une clé qui ouvrirait magiquement la grande porte du temps : la démarche commune aux treize volumes qui la composent se veut plurielle, diverse, inventive. Et surtout, ouverte aux débats. Elle ambitionne, en effet, de rendre compte de la variété des « vérités », de la diversité des problématiques, des enjeux, des controverses et des combats dont se nourrit le métier d'historien, pour répondre aux questions et aux interrogations du présent. "

Chacun des treize volumes qui composent cette collection a été confié à un (ou deux, voire trois) historien(s), plutôt jeune en général d'après ce que j'ai pu lire ailleurs, et évidemment spécialisé dans la période concernée. Rédigé par Geneviève Bührer-Thierry et Charles Mériaux, le premier volume s'intitule La France avant la France et porte sur la période allant de 481 à 888, retraçant ainsi le règne des dynasties mérovingienne dans une première partie puis carolingienne dans la seconde partie.

Le choix de faire débuter cette Histoire de France, et donc ce premier volume, en 481 est expliqué au début de l'ouvrage : cette date correspond au début du règne de Clovis et à la naissance du « royaume des Francs ». Cependant, comme le titre de l'ouvrage l'indique, les auteurs prennent bien soin de présenter cette période comme un prélude à l'histoire de la France telle qu'on la connait aujourd'hui, lorsque son unité territoriale sera globalement stabilisée.

Ce volume commence par poser les bases, en rappelant le contexte dans lequel les peuples germaniques, dont les Francs, sont arrivés : la Gaule romaine du Ve siècle est ainsi présentée, ainsi que l'installation des peuples germaniques, les fameux « barbares ». Loin de l'image désormais caduque d'invasions successives de hordes barbares qui viennent bouleverser l'ordre gallo-romain établi, les auteurs montrent comment la rencontre de ces peuples a fait évoluer progressivement la société et marqué le passage de l'Europe occidentale de l'Antiquité tardive vers le Moyen-âge.

L'ouvrage se poursuit avec des chapitres tantôt chronologiques, relatant l'évolution politique et territoriale des royaumes francs, tantôt thématiques, consacrés à l'histoire religieuse, sociale, économique et culturelle de l'époque.

Les deux auteurs nous font ainsi vivre la construction du « royaume des Francs » par Clovis, les divisions en royaumes distincts de Neutrie, d'Austrasie, de Bougogne, d'Aquitaine, au fil des héritages et partages successifs, le déclin des rois mérovingiens au profit des maires du palais, la prise de pouvoir de ceux-ci pour fonder la dynastie carolingienne, la fondation de l'Empire par Charlemagne, l'apogée puis le déclin de l'Empire carolingien pour aboutir à un Royaume « de France » réduit mais plus proche de nos frontières actuelles.

En parallèle, les deux auteurs nous proposent de découvrir la société de ces époques ainsi que son évolution sur les quatre siècles relatés par ce volume : famille, culture, enseignement, commerce, habitat, mariage, sépultures, place et rôle de l'aristocratie, mais aussi et surtout la place de la religion, du christianisme et de l'Eglise dans la société. Avec ces thématiques, l'ouvrage ne se contente pas d'être un catalogue de dates et d'événements, mais nous plonge dans la société de l'époque et nous aide à comprendre les mentalités et les enjeux qui étaient alors importants.

Enfin, l'ouvrage s'achève par un chapitre de près de 75 pages intitulé « L'atelier de l'historien », dont l'objectif ne peut être mieux résumé que par Joël Cornette, toujours dans son introduction générale :

" Afin que chaque lecteur puisse, précisément, s'approprier sa propre histoire, les volumes comportent un « atelier de l'historien », qui permet de participer à la construction, à la « fabrique » d'une science humaine en perpétuelle métamorphose, avec le souci constant de la preuve et de ces « faits têtus », qui sont la matière première de l'historien : les sources, dans leur infinie diversité (avec des exemples précis de leur utilisation), les mises en question des problématiques anciennes, les débats, les enjeux, l'histoire de l'histoire … Il s'agit ici de mettre en valeur une histoire qui interroge, qui s'interroge. "

C'est une partie que j'ai trouvé passionnante, en particulier le chapitre consacré à la « postérité des Mérovingiens », où l'on peut suivre comme l'image des Mérovingiens a évolué au fil du temps : d'abord largement décriés à l'époque des Carolingiens, qui devaient légitimer leur prise de pouvoir, remis en valeur par les Capétiens pour légitimer la continuité de la royauté malgré le changement de dynastie, à nouveau dévalorisés sous la IIIè République, où le « mythe » des rois fainéants a été enseigné à plusieurs générations d'élèves et où il n'était guère à la mode de se revendiquer de l'héritage des Mérovingiens (et des Carolingiens), dont se réclamaient également nos voisins et ennemis allemands.

J'ai mis une dizaine de jours à lire ce premier volume de l'Histoire de France, car il est riche, mais j'ai été passionné du début à la fin. Cet ouvrage cumule plusieurs qualités : il est facilement accessible, avec une présentation claire, un texte limpide et précis, et un soin apporté aux documents présentés, que ce soit les textes, les images, les cartographies ou les généalogies. Il semble qu'une grande partie de ces documents soient rares, parfois inédits, qu'ils aient été publiés pour la première fois dans ce livre ou qu'ils aient été créés pour l'occasion (notamment certaines cartes).

L'autre grande qualité de ce livre, c'est sa volonté de dépoussiérer l'Histoire de France telle qu'on me l'a appris à l'école et au collège, et donc de se débarrasser des vieux mythes tenaces et de s'astreindre à présenter l'Histoire telle qu'on la connait aujourd'hui, en prenant en compte les recherches des dernières décennies voire des dernières années. Les auteurs n'hésitent pas à montrer comment notre connaissance de cette époque a évolué au fil des recherches, comment certains sujets font encore l'objet de débats ou de questionnements, mais aussi comment le contexte historico-politique a pu influencer la façon dont l'histoire des Mérovingiens et des Carolingiens a été relatée, analysée, et enseignée au fil du temps. C'est particulièrement vrai dans la partie intitulée « L'atelier de l'historien », mais le sujet est également évoqué tout au long du texte.

Ainsi, les deux auteurs nous relatent ce que l'on sait de cette époque, mais n'hésitent pas à reconnaître ce que l'on ne sait pas encore, ou que l'on ne saura peut-être jamais. C'est une vision d'une Histoire vivante, d'une science humaine qui évolue et qui apprend ; cela me parle beaucoup.

Autant vous dire que je vais m'empresser de commencer le deuxième volume de cette collection, intitulé Féodalités (888-1180).
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