Voilà, j'avoue, je l'ai lu !
Quoi ? le livre de
Patrick Buisson, vous savez, ce monsieur au crane rasé et aux idées…disons conservatrices, qui faisait les beaux jeudis de « Politiquement Show » sur LCI jusqu'à ce que sa nomination à l'Elysée nous prive de ses analyses décapantes.
Patrick Buisson est historien, et son livre s'appelle « 1940-45 : années érotiques, Vichy ou les infortunes de la vertu » ; il est édité par Albin Michel, et se trouve au prix unique de 24 € dans toutes les bonnes librairies a l'exception (vérifiée) de la Procure (ex Procure du Clergé, devenue bijou de famille que le groupe le Monde va devoir vendre).
Mais ce livre est déjà destiné à l'enfer des bibliothèques, ce grand placard où l'on serre à double tour les publications impubliables. Curieusement, on n'en trouve aucune critique sur le net, seuls quelques sites marchands se contentant de publier le « Prière d'insérer », d'ailleurs insipide. Quant aux feuilles littéraires des journaux, toujours rien.
Pourtant, l'ouvrage est bien écrit, très documenté (mais comment font ces auteurs-journalistes-hommes d'action pour travailler autant leur documentation ?), avec des tournures de style parfois baroques (la patrouille allemande, qualifiée de « minotaure botté martelant son labyrinthe »), et aussi quelques jeux de mots détestables. Mais il est passionnant, comme une « Vie quotidienne » débarrassée de toute auto censure.
Le problème posé par ce livre, c'est qu'il livre un terrible secret national : de 1940 à la Libération, malgré la défaite et l'occupation, la vie a continué, devenant même parfois plus intense du fait des circonstances. On le sait dans les familles, notamment par la découverte, dans les successions, de lettres enflammées. Mais de là à l'écrire dans un livre d'histoire…
Il fallait vivre ; quand on s'ennuie, quand la mort menace, quand la faim tenaille, il faut bien compenser avec quelque chose. Un très beau texte d'
Eluard, cité par l'auteur, résume la situation :
« Que voulez-vous, la porte était gardée
Que voulez-vous, nous étions enfermés,
Que voulez-vous, la rue était barrée,
Que voulez-vous, la ville était matée,
Que voulez-vous, elle était affamée,
Que voulez-vous, nous étions désarmés,
Que voulez-vous, la nuit était tombée,
Que voulez-vous, nous nous sommes aimés »
Et tant pis pour les éternels maîtres à penser, de toutes les chapelles politiques, philosophiques, religieuses, et d'abord ceux de Vichy, qui voulaient imposer le deuil à la jeunesse, sans doute pour expier leurs propres fautes. Dire tout cela, en France, c'est rompre une loi du silence, surtout si on met en scène certains de ces donneurs de leçons en situation compromettante. C'est la partie la plus croustillante du livre, mais non la plus importante.
Donc, lisez-le, comme une version subversive de « La vie des français sous l'occupation », en attendant le tome 2, encore plus sulfureux, parce qu"il évoquera le "couple franco-allemand".