J'aimerais bien devenir
Bukowski ! Je ne sais pas si mon souhait est d'écrire comme lui, avec autant de sincérité, d'humour et de rythmes, ou de vivre comme lui, sans le moindre souci, avec toutes ces femmes et boire autant sans penser au lendemain. À chaque fois que je lis un
Bukowski, c'est ce qui m'arrive. Je me demande si je ne devrais pas quitter mon boulot pour me lever à midi, picoler, et arrêter de m'en faire avec tous les tracas de la vie. J'me dis qu'il y a surement quelque chose que je n'ai pas compris.
Bukowski, lui, a tout compris !
Je viens de terminer Je t'aime, Albert. Un recueil, certainement pas le plus connu, mais comme on les aime, l'univers « bukowskien » tel quel, sans fioriture, avec ses aventures sans queue ni tête. On retrouve un vieil ami, alcoolo, qui nous fait rire et qui nous fait passer une belle soirée.
Je crois qu'on arrive à Je t'aime, Albert, seulement une fois qu'on est accro à ce vieux dégueulasse. Si, jusqu'à là, (à l'exception de
Pulp) j'adorais ses livres sans faire aucune distinction, comme on mange à grandes bouchées sans porter attention à ce qu'on engloutit, avec ce recueil, mon regard s'est affuté sur l'oeuvre de
Bukowski. Je me demande si je ne devrais pas reprendre tout du début pour saisir les nuances, les légers mouvements, les fixations de l'écrivain qui se déplacent au fil des années.
Dans Je t'aime, Albert, recueil publié dans les années 1980, Hank, Chinaski, Henry est moins présent et surtout, les personnages vont moins souvent au champ de course que dans les autres recueils précédents. Ils tuent des moustiques avec le feuillet des courses et ils mangent sans arrêt des oeufs durs, pas à la coque, ça c'est son père. Si on avait l'habitude de trouver Hank en célibataire endurci (sauf dans
women), ici les personnages sont souvent en couple, souvent depuis longtemps, ce qui ne les empêchent pas de faire un détour avant de rentrer à la maison. Si pour la plupart, ils sont poètes ou écrivains, l'une de leurs particularités est qu'ils sont nombreux à vivre aux crochets d'un autre, sans remord, évidemment.
Ces nouvelles ont une place particulière dans l'oeuvre de Buko, parce qu'elles nous laissent entrevoir ce qui arrivera par la suite, avec
Pulp, la part de fiction irréelle qui m'a fait personnellement décrocher, mais aussi nous permet de mieux comprendre ce qui venait avant, même si on pouvait s'en douter. Il y a la question de la chance. Les malheurs comme les réussites, pour
Bukowski, sont dûes à la chance. On gagne aux courses, on se trouve au lit avec telle femme et pas telle autre, ou simplement, on est encore en vie, tiennent seulement à la chance. On ne peut gagner à tous les coups. Ce qui n'empêche pas d'essayer.
Et une dernière chose que j'ai comprise à la lecture de ce recueil et que je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus,
Bukowski l'exprime par l'un de ses personnages, dans la nouvelle La mort du père :
- « Votre père parlait souvent de vous.
- Ah bon ?
- Il disait que vous manquiez d'ambition.
- Il avait raison.
- Vraiment ?
- Ma seule ambition est de ne rien être ; ça me paraît la chose la plus raisonnable qui soit. »
Le pas grand-chose dit bien « rien être » et non « rien faire », la différence, subtile, mérite qu'on s'y arrête un instant, le temps pour se siffler une autre bière ou pour terminer notre bouteille de rouge tord boyaux.