C'était dans un bar miteux de L.A. comme on en fait plus. Maintenant, il faut que tout soit propre et aseptisé, même les chiottes et les caniveaux. Je ne sais plus à quelle tournée j'en étais arrivé, les verres vides s'entassaient sur le comptoir. Il devait être minuit, lorsque que le pochtron d'à-côté me sort « tu devrais aller à la Poste, ils embauchent n'importe qui ! ». Me voilà donc à cinq heures du mat', L.A. s'éveille, un sac en bandoulière, prêt à embarquer pour une nouvelle tournée. Postier suppléant. En-dessous, il n'y a rien. Je suis le dernier maillon de la chaîne de distribution. Si les facteurs se portent pales, parce qu'ils ont trop bu la vieille ou qu'il pleut à averses, je deviens le seul, avec mes chaussures trouées, à affronter les éléments de la nature, les vieilles rombières aux bigoudis et les grosses rombières en peignoir ouvert, l'unique même pour acheminer la dernière étape du courrier.
Premier roman de
Bukowski. A l'époque, il n'était pas encore tout à fait écrivain mais déjà pochtron convaincu. Il est ce facteur, toujours en retard sur sa tournée mais qui ne faiblit pas, qui ne faillit pas même lorsque des trombes d'eau s'abattent sur sa camionnette, sur ses mocassins, sur sa sacoche. Étonnamment, il met du coeur à l'ouvrage et de l'humanité à cette tâche ingrate. Des rapports pleuvent sur le bureau de son supérieur, malgré tout il garde son humeur et continue sa besogne coûte que coûte, comme un sacerdoce. C'est comme baiser une grosse au foyer des vieilles rombières, genre qui n'arrive plus à jouir. Il la besogne, la besogne, jusqu'à plus soif, jusqu'à ce qu'elle le supplie d'arrêter.
Et pour un premier roman, je découvre déjà toutes les facettes du bonhomme partagé entre les femmes, les courses et la boisson. Je le découvre, homme amoureux, homme besogneux, qui met du coeur à l'ouvrage, autant pour distribuer le courrier que pour s'assoir au comptoir ou baiser une pimbêche. Il est unique et empli de bonté et d'humanité dans ce livre, le seul à distribuer avec autant de fidélité le courrier de gens qui l'indiffèrent et le méprisent totalement. Mais, je sens aussi que ce boulot le ronge de l'intérieur, une douleur dans la poitrine qui le comprime et c'est pour cette raison qu'il file au bar et se pinter la gueule. Je lui trouve des excuses à cet homme, ce grand pochtron de la littérature ; parce qu'il sait m'émouvoir...
Un grand roman autobiographique, des vies comme ça couchées sur papier, j'en demande encore et encore. de toute façon, des putains de vie font forcément des putains de livres avec ou sans putain, d'ailleurs. Pas qu'il ne fréquente pas les putains, mais quand t'as arpenté les rues dans tous les sens sous des trombes d'eau ou en plein cagnard, quand t'as besogné grosse, rombière et pimbêche, le soir t'as plus le coeur à l'ouvrage pour arpenter de nouveau les trottoirs nocturnes des putains bandantes sous tout temps. Tu préfères avoir la queue en berne, te poser sur un tabouret et t'enfiler quelques verres sans rien penser. Et peut-être que là, sans rien demander, une femme genre magnifique même à la troisième pinte viendra s'asseoir à côté de ton tabouret, commandera un whisky et une bière, et te proposera de faire l'amour comme une putain. C'est à ce moment-là que tu te dis, putain j'aurais dû être écrivain, et que tu sais que tu tiens une bonne histoire à écrire, si tu trouves un éditeur qui a les couilles de te publier.
Lien :
https://memoiresdebison.blog..