Quand nous parlons d'un coin perdu, il arrive que nous disions qu'il est seulement ravitaillé par les corbeaux… mais en Guadeloupe -
Estelle-Sarah Bulle me l'a appris grâce au titre de son premier roman - on dit : « Cé la chyen ka japé pa ké »,
Là où les chiens aboient par la queue !
Ce titre ne laisse pas indifférent et attire logiquement l'attention sur un livre qu'il faut lire pour sortir un peu de notre hexagone. L'autrice, née en France, explore la vie dans cette île dont sa famille est originaire et que notre pays a réussi à conserver malgré les tentatives indépendantistes durement réprimées, bien évoquées au cours du roman, tentatives bien peu répercutées en métropole.
Ce coin perdu, c'est Morne-Galant où vit la famille Ezechiel dont nous suivons le cours au travers de la vie des trois enfants d'Hilaire et Eulalie : Apolonne que tout le monde appelle Antoine, Lucinde et Petit-Frère. C'est la fille de ce dernier qui recueille les détails de la vie de sa tante, Antoine, principalement mais les avis de Lucinde et de Petit-Frère sont très intéressants car ils apportent un autre point de vue.
Antoine – difficile de se faire à ce prénom pour une jeune fille de seize ans – quitte Morne-Galant, toute seule pour aller vivre à Pointe-à-Pitre. À sa nièce, elle raconte son enfance, le mariage de ses parents, la mort de sa mère en janvier 1947, et sa vie pleine de débrouillardise, de croyances religieuses et de superstitions.
De temps à autre, la nièce prend la parole : « Les jeunes Antillais nés à Sarcelles, La Courneuve, Villeurbanne ou dans les faubourgs de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France étaient à la fois mieux protégés et en butte aux mêmes difficultés que ceux issus de l'immigration africaine ou maghrébine. »
Cela mérite réflexion et c'est pour cela que j'ai aimé ce livre. Il m'a permis aussi de comprendre l'évolution d'une île où quelques Blancs, jaloux de leurs privilèges, exploitaient ou exploitent encore les richesses humaines et naturelles locales.
Antoine parle aussi de la période de l'Occupation, du régime de Vichy, des voyages faits par
De Gaulle sur place, du béton qui s'impose et du travail qui se fait de plus en plus rare. Les expressions savoureuses ne manquent pas et nous devrions les adopter pour enrichir notre vocabulaire. J'ai aussi bien apprécié les phrases en créole que l'autrice n'a pas manqué de traduire pour aider à la compréhension pas toujours évidente.
Si Antoine est devenue un vraie Parisienne, elle est restée profondément marquée par la Guadeloupe et l'histoire de sa famille, une histoire bien racontée, décortiquée, analysée par une autrice qui a réussi un très bon premier roman.
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