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Morne-Galant, c'est un village au bout d'un chemin où il n'y a rien, à part des vaches et quelques habitants : « Encore aujourd'hui, les Guadeloupéens disent de Morne-Galant : « Cé la chyen ka pa japé pa ké. » Je te le traduis parce que ton père ne t'a jamais parlé créole : « C'est là où les chiens aboient par la queue. »

Elle, la narratrice, est d'origine guadeloupéenne mais ne connaît rien de la culture créole, sa tante Appolone va se charger de lui faire le récit de ses origines entre mythes et réalités. Elle est « celle qui relie le passé au présent, la Guadeloupe à Paris, comme une racine souterraine et pleine de vie ».

Appolone ou Antoine, « son nom de savane » choisi pour éloigner les mauvais esprits. D'une verve sans pareille, elle lui conte l'histoire de la famille Ezechiel. le grand-père Hilaire marié à une « béké », une blanche d'un village fermé de colons bretons, les Blancs-Matignon.
Mais à Morne-Galant, la vie devient vite plate et morne pour une jeune fille pleine d'ambition et farouchement indépendante comme Antoine.

Dès ses 16 ans, quittera son village natal pour la capitale, Pointe-à-Pitre, et ses bidonvilles qui accueillent les travailleurs antillais employés par les Français. Avec pour tout bagage un parapluie rouge, une robe élimée et un mouchoir usagé, elle fera vite l'apprentissage des hiérarchies et des conventions sociales.

Retranscrite dans une langue imagée et fleurie, la vie d'Antoine devient un voyage à travers l'histoire de la colonisation de ce petit bout de terre et de ses relations avec la République française et ses promesses d'un avenir meilleur.

Qu'à cela ne tienne, elle partira sur le territoire métropolitain pour y chercher ses espoirs et sa liberté. Mais c'est le béton sans odeur et sans âme des grands ensembles qui l'accueillera alors.

Entre Morne-Galant et Créteil, c'est une histoire conflictuelle et passionnée à laquelle nous invite à parcourir Estelle-Sarah Bulle. Une histoire d'origine et d'exil, de promesses et d'espoirs déçus ou accomplis. Partir quand on n'a pas les moyens de continuer à vivre où l'on est. Partir en n'étant plus tout à fait d'ici, ni jamais vraiment de là-bas. Une histoire de liberté, de douleur et d'identité.

Un premier roman plein de poésie dans une langue pleine de fantaisie qui fait danser les mots et les idées d'une prose lyrique et facétieuse à travers soixante ans d'histoire franco-antillaise.

Lu en octobre 2018.
Retrouvez mon article sur Fnac.com/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/La-ou-l..
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C'est l'histoire d'une famille guadeloupéenne sur deux générations. Une fresque colorée, reconstituée à travers les propos recueillis de deux soeurs et de leur petit frère, par Eulalie, la fille de ce dernier.
C'est aussi l'histoire de la Guadeloupe, cette île, où tout a été importé ("Même cette canne autour de nous n'était pas là, c'est une plante importée, comme presque tout ici."), le pays du « Nèg kont' Nèg » et des marabouts.
Originaire de Morne-Galant, un bled que les guadeloupéens appellent l'endroit "où les chiens aboient par la queue" ( un trou perdu), les trois enfants finissent tous par « s'exiler » en France. Français sur papier, ils appartiennent pourtant à un autre monde, les "immigrés de l'intérieur ", que la nièce, née et grandit en France, aimerait connaître et comprendre.
"Tu viens me voir, et tu te demandes où est notre place, à nous qui venons d'un entre-deux du monde.....”. lui dit Antoine. Remontant aux années 40, c'est elle l'aînée, "on bel ti fanm", qui entame cette histoire avec l'histoire de ses parents et sa fuite de la maison à seize ans, pour Pointe-à-Pitre..... En contrepoint, nous écoutons le frère et la soeur cadette raconter leur propre histoire, jusqu'à leur arrivée à Paris dans les années 60.
Début 70 entre en scène, la nièce. Bien qu' Antoine lui dit "tu as toujours vécu en métropole, tu ne sais pas vraiment ce qu'est le racisme", sa condition d'antillaise n'en restera pas moins modifiée. Une des premières phrases qu'elle entendra toute petite sera "Ça va, c'est qu'une Négresse".
Comme souvent dans les romans polyphoniques, les faits ne s'accordent pas, les points de vue différent....., mais dans ce riche terreau, le fond de vérité y est,
de la misère et la pagaille bigarrées de la Guadeloupe aux tours de bétons grises et quartiers monocolores de la banlieue parisienne, deux générations d'antillais pris entre deux mondes, sur fond de racisme latent. Lequel est le meilleur ? Surtout que le premier a fini par être “civilisé”, par le second. " et le père d'Eulelia, en dira, "j'ai quitté un nulle part pour un autre nulle part".

Le sel de ce récit truculent et lucide, est sa superbe prose fluide, très colorée, parsemée d'expressions créoles (prendre un toufoukan dans les venelles / fouteurs de manjékochon / ses « sa ki ta'w ta'w ....). L'écrivaine dit " le créole est une langue très riche, très imagée, très poétique, où l'on peut puiser à l'infini. J'ai donc pu m'amuser avec ce matériau sans le maîtriser complètement.". Eh bien l'amusement est trés réussi !
J'ai aimé le personnage d'Antoine, femme loufoque, indépendante, qui n'a pas froid aux yeux, se moque du qu'en dira-t-on, parle aux esprits et super débrouillarde, dans un monde où elle n'est pourtant pas du tout à son avantage !
Bref j'ai beaucoup aimé ce livre, un premier roman qui a déjà remporté le prix littéraire Stanislas et est en lice pour celui de la Fnac !

"Noirs, Blancs, Indiens, Chinois, Syriens, nous nous savions tous liés, entremêlés, mais nous avions honte de cette créolité qui était pourtant la seule réalité, la seule histoire de l'île."







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Coup de coeur absolu pour ce roman qui sous couvert de raconter l'histoire d'une famille guadeloupéenne sur deux générations, raconte aussi l'histoire de cette île des années 40 à nos jours.

Cette histoire placée sous d'autres cieux, pourrait être aussi la votre, celle d'enfants qui quittent le foyer parental pour aller à la ville, rêvant d'un meilleur avenir.
L'exode rural et le père qui ne comprend pas.
Ça pourrait ressembler aussi à la votre : celle d'enfants qui s'envolent pour la capitale, Paris, rêvant d'anonymat, de liberté, de culture.
Oui, mais voilà, Estelle-Sarah Bulle nous raconte celle d'une famille qui est certainement très largement inspirée de la sienne, les anecdotes émaillent ce récit comme autant de pépites, de diamants qui ont le goût de la vérité.
Beauté des mots, images venues d'ailleurs avec des insertions de créole, cette auteure saura vous emmener , dans le passé mais aussi au soleil, dans une Guadeloupe qui n'existe plus.
On est fin des années 40 et certains Antillais se souviennent encore des traces de fouet sur le dos de leurs parents…
On est fin des années 40, et Hilaire tombe amoureux d'Eulalie, une blanche. Ils auront trois enfants , des métis . Deux filles, Antoine et Lucinde et puis Petit-frère. C'est la fille de ce dernier qui rassemblera les souvenirs de cette fratrie pendant une dizaine d'années, et nous livrera ce récit.
Les hommes bien gentils mais en dessous de tout, les femmes un peu fofolles mais débrouillardes . Ceux qui avaient du bien et qui n'ont pas su le garder, ceux qui se retroussent leurs manches et qui vont chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas sous le soleil...
Sans bruit, et au delà de la famille Ezechiel, Estelle-Sarah Bulle parle aussi de l'histoire avec un grand H, de politique, d' incompétence politique, d'accaparation des richesses , de révolte de la jeunesse matée dans un bain de sang, de racisme .
Et j'ai refermé ce roman il y a quelques minutes , la tête pleine de réflexions diverses sur la famille, les barres d'immeubles, Paris, ce qu'on perd, ce qu'on gagne, le petit lopin de terre à avoir . La tête pleine d'images de 1940, de paysages qui n'existent plus, de mots créoles, de soleil et de personnes si résistantes .
Un roman réussi, c'est quand tu y penses encore, longtemps après …
Et j'ai refermé ces pages , le coeur un peu serré.
… ♫ le Coeur grenadine ♫


( Merci à Bookycooky et à son billet...)
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Quand nous parlons d'un coin perdu, il arrive que nous disions qu'il est seulement ravitaillé par les corbeaux… mais en Guadeloupe - Estelle-Sarah Bulle me l'a appris grâce au titre de son premier roman - on dit : « Cé la chyen ka japé pa ké », Là où les chiens aboient par la queue !

Ce titre ne laisse pas indifférent et attire logiquement l'attention sur un livre qu'il faut lire pour sortir un peu de notre hexagone. L'autrice, née en France, explore la vie dans cette île dont sa famille est originaire et que notre pays a réussi à conserver malgré les tentatives indépendantistes durement réprimées, bien évoquées au cours du roman, tentatives bien peu répercutées en métropole.
Ce coin perdu, c'est Morne-Galant où vit la famille Ezechiel dont nous suivons le cours au travers de la vie des trois enfants d'Hilaire et Eulalie : Apolonne que tout le monde appelle Antoine, Lucinde et Petit-Frère. C'est la fille de ce dernier qui recueille les détails de la vie de sa tante, Antoine, principalement mais les avis de Lucinde et de Petit-Frère sont très intéressants car ils apportent un autre point de vue.
Antoine – difficile de se faire à ce prénom pour une jeune fille de seize ans – quitte Morne-Galant, toute seule pour aller vivre à Pointe-à-Pitre. À sa nièce, elle raconte son enfance, le mariage de ses parents, la mort de sa mère en janvier 1947, et sa vie pleine de débrouillardise, de croyances religieuses et de superstitions.
De temps à autre, la nièce prend la parole : « Les jeunes Antillais nés à Sarcelles, La Courneuve, Villeurbanne ou dans les faubourgs de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France étaient à la fois mieux protégés et en butte aux mêmes difficultés que ceux issus de l'immigration africaine ou maghrébine. »
Cela mérite réflexion et c'est pour cela que j'ai aimé ce livre. Il m'a permis aussi de comprendre l'évolution d'une île où quelques Blancs, jaloux de leurs privilèges, exploitaient ou exploitent encore les richesses humaines et naturelles locales.
Antoine parle aussi de la période de l'Occupation, du régime de Vichy, des voyages faits par De Gaulle sur place, du béton qui s'impose et du travail qui se fait de plus en plus rare. Les expressions savoureuses ne manquent pas et nous devrions les adopter pour enrichir notre vocabulaire. J'ai aussi bien apprécié les phrases en créole que l'autrice n'a pas manqué de traduire pour aider à la compréhension pas toujours évidente.

Si Antoine est devenue un vraie Parisienne, elle est restée profondément marquée par la Guadeloupe et l'histoire de sa famille, une histoire bien racontée, décortiquée, analysée par une autrice qui a réussi un très bon premier roman.
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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« Cé la chyen ka japé pa ké », en créole signifie : Là où les chiens aboient par la queue. C'est par ces termes que les Guadeloupéens désignent encore aujourd'hui Morne-Galant, c'est-à-dire un village perdu au fin fond de l'île…
C'est dans ce village que sont nés les enfants Ezechiel : Apollone, alias Antoine, Lucinde et Petit-Frère. Ce sont les récits croisés de ces trois personnages que la fille de Petit-Frère et par conséquent la nièce d'Antoine et Lucinde, née en France, va aller quérir : « cette fois, j'étais adulte et je voulais parler seule avec Antoine, qu'elle me raconte le passé, la Guadeloupe, la famille, à sa manière. »
C'est surtout avec sa tante, Antoine, que les conversations auront lieu dans une boutique acquise par celle-ci, au pied du Sacré-Coeur. Si les trois enfants Ezechiel ont quitté les Antilles pour la métropole, c'est elle qui a le caractère le plus affirmé et qui est la plus « indomptable ». Elle a d'abord quitté Morne-Galant en 1947 pour Pointe-à-Pitre, puis, vingt ans plus tard, s'est installée à Paris.
Estelle-Sarah Bulle, par ce roman, nous fait revivre l'histoire de cette famille, en Guadeloupe, avec toute sa beauté mais aussi toute sa misère puis partager son exil vers la métropole où il faut lutter pour exister.
C'est avec une écriture inventive et pleine de gouaille que l'autrice nous rend de façon plus que vivante cette ambiance antillaise tellement grouillante. le personnage incarné par Antoine est haut en couleurs, baroque, dépourvu de toute gêne, sans pondération, libre, parfois irrationnel, très audacieux, un peu « visité par les anges », comme elle le dit, mais se révèle, en tout cas, très débrouillard.
Ce roman a le mérite de nous faire traverser six décennies de métamorphoses au travers d'une famille antillaise et nous restitue un magnifique résumé de l'histoire moderne de la Guadeloupe. Il dit à la fois la douleur de partir et l'envie de regarder l'avenir. Belle réussite que ce premier roman !

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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La famille Ezéchiel fait partie des descendants d'esclaves souvent exploités par les blancs, les békés avec qui toute alliance était impensable. Sauf que dans les années quarante, Hilaire Ezéchiel épouse Eulalie Lebecq, d'une famille bretonne de petits colons blancs, et donne naissance à une descendance mixte. Des enfants qui à l’age adulte bien qu'attachés à la Guadeloupe voudront la quitter pour la métropole, vivant un déracinement.

Avec des personnages forts comme Antoine, une tante libre et entreprenante, sa nièce, Estelle-Sarah Bulle, née à Créteil, raconte un peu son histoire personnelle et familiale. Elle le fait dans une langue joyeuse, imaginative et colorée qui nous embarque dans les croyances, les joies et les souffrances, les soumissions et les révoltes, d'une île à la beauté envoûtante (quelque peu abîmée par les constructions de béton des années soixante). Une île — dont le passé commun avec la France a commencé au XVIIe siècle avec la déportation massive par les Français d'esclaves noirs africains — inoubliable sous la plume épatante d'Estelle Sarah Bulle.

Challenge MULTI-DÉFIS 2019
Challenge PLUMES FÉMININES 2019
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La lecture très enthousiaste d'un "premier roman" d'une camarade-libraire, Lisa, m'a immédiatement convaincue de l'acquérir. Je l'ai lu en une nuit... Je me suis embarquée pour les rives de la Guadeloupe, un territoire français, que je méconnais complètement, en dehors de la fréquentation d'une amie au lycée, qui en arrivait... le mot unique qui m'est resté: "Béké" !! Sinon l'ignorance la plus totale... et la plus affligeante...

Un premier roman très rythmé; un style enchanteur, coloré , contrasté comme l'île... avec des expressions très imagées ! Un vrai plaisir, de la joie en dépit de la gravité intrinsèque de l'Exil, des territoires colonisés...du racisme...des départs libérateurs... avec leurs lots de peines, de déracinement incontournables...!

Un personnage féminin central, né en France, une nièce va ressentir le besoin d'en savoir plus sur ses origines, sur l'histoire de sa famille antillaise et pour cela va interroger et écouter les récits ses deux tantes et son père... Ainsi , à travers les trois personnalités très différentes d'une fratrie, nous allons découvrir l'histoire des Antilles, de Point-à-Pitre...C'est plein de truculence, de rebondissements, de joies, de drames, de départs loin de la famille... Il y a aussi les grands-parents, Eléonore, la grand-mère, béké, qui a épousé avec difficulté Hilaire....antillais à la couleur sombre, au grand dam de la famille de la mariée.. !!!

J'ai choisi quelques extraits, parmi les plus significatifs ( mais j'en ai beaucoup soulignés...et je n'ai pas la moindre envie de vous lasser, avec trop de citations ! )

Un premier roman flamboyant, qui m'a appris de surcroît des éléments précieux de l'histoire de la Guadeloupe et des Antilles... Comme je l'ai déjà exprimé, en dépit de la gravité de certains sujets, il y a un amour de la vie, des gens... des couleurs, de la malice, des personnages féminins et masculins combattifs...toniques. Nous ne risquons pas d'oublier de sitôt la tante au plus fort caractère, [dite Antoine...] pleine d'idées, de courage et de vaillance, en plus d'être une femme libre et indépendante...
Mais chacun des personnages est attachant... Je les quitte , chacun, à regret, vraiment !!

Bravo et Merci à Estelle-Sarah Bulle pour ce très beau moment de lecture !


"Je suis restée plantée au milieu de la rue. En continuant d'approcher, il m'a lancé : " T'es Noire ou t'es Blanche , toi ? "
Je n'ai pas tout de suite compris ce qu'il voulait. "Qu'est-ce que tu veux que je te réponde ?" Il a répété sa question en tendant vers moi un doigt menaçant. Ma vie dépendait peut-être de ce que j'allais dire. Toutes ces histoires de négritude qu'on entendait , que Césaire et Senghor poétisaient admirablement et qui fascinaient les jeunes, ça m'avait toujours laissée indifférente. Je me considérais comme une femme, ça oui, et comme une guadeloupéenne, c'est-à-dire une sang-mélangé, comme eux tous, debout sur un confetti où tout le monde venait d'ailleurs et n'avait gardé qu'un peu de sang des Caraïbes, les tout premiers habitants. Ca m'éloignait définitivement de toute idée de grandeur et de pureté. Ma fierté, c'était le chemin que je menais dans la vie et que je ne devais qu'à moi-même. "(p. 234)


"Je n'étais pas née en Guadeloupe, je n'y venais, au mieux, qu'une fois tous les deux ans. Même si j'aimais profondément cette île, cette société créole, ma vie était ailleurs. Cela ne signifiait pas que rien ne m'avait été transmis de cette terre, au contraire. Je le sentais dans mon corps, dans mes mots, dans ma façon d'appréhender la diversité du monde." (p. 171)



"Tu vois, tout cela était mêlé et c'est ce que j'aimais profondément. Ce n'est pas comme ici à Paris, où la plupart des quartiers sont monocolores, sauf mon XVIIIe bien-aimé. Point-à-Pitre, c'était une pâte faite de toutes les étrangetés et de toutes les couleurs de peau; tu passais du bizarrement riche au banalement pauvre en allant de porte en porte." (p. 98)



"[à propos des jardins créoles...)
Antoine a souri à ma description.
"C'est ça. A la fois la pharmacie et le garde-manger des habitants des îles. Mais ce n'est pas que ça. Pourquoi tu crois que les hommes et les femmes se dépêchent d'aller dans leur jardin ? même ceux qui habitent l'en-ville, dès qu'ils peuvent se réserver un petit bout de terre hors des murs. Parce que dans le sol où tout pousse si facilement, on enterre nos soucis. Tous les tracas du jour. Et puis on dialogue avec les ancêtres, qui bêchaient la même terre avant nous.
Ce serait bien que tu aies ton jardin créole , toi aussi.
-Je ne vois pas où je pourrai avoir ça, Antoine (...)
-Où tu pourras.
(...)-Je pourrais l'avoir dans ma tête. Un beau fouillis vigoureux comme toi. (p. 283)"
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Quand les espèces s'y mélangent, qu'on y cueille à la fois des fleurs pour la beauté , des plantes médicinales pour la santé , et des fruits et  légumes pour la nécessité,   on appelle ce bout de terre minuscule et essentiel, un "jardin créole".

Le premier livre -très réussi- d' Estelle-Sarah Bulle - un bien joli nom!- est un jardin créole à lui tout seul!

Une langue chatoyante, savoureuse, cocasse, poétique, tout émaillée de parler créole,  pour le plaisir des sens et de l'esprit.

- Pour savourer, rire, rêver, entendre une musique nouvelle venue de cet endroit "cé la chyen ka japé pa ké "...

Des personnages bien campés,   proches de la Narratrice - dans laquelle se projette, certainement, l'auteure- pour nourrir le récit, lui donner sa chair, son sang, ses nuances, ses contrastes et ses contradictions.

- Pour donner la vie.

Trois générations de guadeloupéens - descendants des esclaves noirs,  métis, blancs  pauvres- , tiraillés entre leur terre magique et misérable  et la marâtre métropole,  perfide et trompeuse.

Trois générations dont les souvenirs tissent  les fragments d'une fresque historique, donnant  une  caisse de résonance collective et puissante à leurs expériences individuelles.

- Pour comprendre la grande Histoire de l'esclavage, de la colonisation, de l'intégration. 
Pour toucher du doigt les péripéties d'une identité et d'une fraternité douloureuses.

Laissez vous charmer par ce jardin-là.

Suivez-en les sentiers perdus dans l'herbe folle.

Le parcours terrien, champêtre , du grand-père,  folâtre et fier, généreux et inconséquent,

Les routes aventureuses de la tante Antoine, un peu pirate, un peu maquerelle,  un peu sorcière, un peu bigote, inlassable  bourlingueuse , marchande aux mille besaces,- un inoubliable personnage de femme!

La trace toute droite de Petit-Frère,  le bien nommé,  père de la narratrice, altruiste, engagé,  qui trouve sa voie en rompant les liens avec religion, superstition, et même famille pour trouver une nouvelle fraternité élargie dans les luttes sociales, l'éducation,  l'émancipation.

Et le fin tissage de la narratrice qui, pieusement, recueille et transmet, sans les  juger, ces parcours si différents, recréant ainsi une autre Guadeloupe, mythique , pleine de récits devenus légendes, habitée de héros familiers et mystérieux, une terre des origines où elle tente, à chaque vacance,  d'inscrire sa vie citadine et métropolitaine, en nouant  ses racines à  celles des siens.

Nouer, renouer  ses racines..

La renouée, cette plante mi- sauvage, mi- décorative, tenace, obstinée, impossible à extirper definitivement -  le désespoir des jardiniers rigoristes - est sans doute la plante la plus vivace de ce  jardin créole.. .

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Là où les chiens aboient par la queue : habiter d ans un trou perdu, tellement perdu que même les chiens ont un comportement inhabituel.

Entre autobiographie et fiction, Estelle-Sarah Bulle nous raconte l'histoire de la Guadeloupe à travers une fratrie : Antoine l'aînée au caractère bien trempé, Lucinde la soeur cadette éternelle râleuse, et Petit-Frère calme et déterminé, de 1947 à aujourd'hui. Une fratrie qui a migré vers la métropole, Paris et sa banlieue.

Histoire des origines et du voyage vers la métropole, histoire des Antilles.
Une Guadeloupe rurale frappée de disparition.
Traversée des émeutes de 1967 et répression de la jeunesse.
Un roman qui interroge aussi sur la capacité d'adaptation, le racisme, les liens familiaux.


Très belle écriture poétique et imagée, mêlant français littéraire et créole. Un métissage réussi !
Un roman dynamique dû au découpage des chapitres, couvrant à tour de rôle l'intervention de chaque personnage.

Un grand roman plein d'émotions.
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Avec cette histoire familiale savoureuse, cette jeune auteure, pour son premier roman, fait surgir devant nous, par le pouvoir des mots, les couleurs, les odeurs, les saveurs et les sons des Antilles. La Guadeloupe, certes, mais aussi toute la Caraïbe avec les pérégrinations commerciales et sentimentales de la tante Antoine. A côté de cette explosion de sensations, Créteil, la banlieue et sa grisaille apparaît bien déprimante, c'est certain.

La forme utilisée comme une enquête mémorielle de la plus jeune à la recherche de ses racines, nous plonge dans une famille métissée aux multiples nuances de couleur de peau . A travers elle, se dévoile un peu la réalité historique et sociale particulière des Antilles françaises depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et le poids persistant de l'héritage de l'esclavage.

J'ai adoré tous les personnages, et l'humour léger pour évoquer les petits malheurs ou les roublardises du grand père Hilaire, les superstitions, la vierge Marie, les fantômes et les esprits des lieux. La langue est magnifique presque chantante, et intègre avec bonheur nombre d'expressions créoles pour une évocation parfois déchirante d'un monde qui aurait pu être meilleur, plus respectueux des hommes et de la nature. On comprend mieux les difficultés actuelles des Antilles avec ce récit .

J'aime beaucoup toute cette tendresse nostalgique qui fait de ce premier roman un pas essentiel pour son auteur. Elle partage son univers avec nous et c'est un très beau cadeau .
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