Quand les espèces s'y mélangent, qu'on y cueille à la fois des fleurs pour la beauté , des plantes médicinales pour la santé , et des fruits et légumes pour la nécessité, on appelle ce bout de terre minuscule et essentiel, un "jardin créole".
Le premier livre -très réussi- d'
Estelle-Sarah Bulle - un bien joli nom!- est un jardin créole à lui tout seul!
Une langue chatoyante, savoureuse, cocasse, poétique, tout émaillée de parler créole, pour le plaisir des sens et de l'esprit.
- Pour savourer, rire, rêver, entendre une musique nouvelle venue de cet endroit "cé la chyen ka japé pa ké "...
Des personnages bien campés, proches de la Narratrice - dans laquelle se projette, certainement, l'auteure- pour nourrir le récit, lui donner sa chair, son sang, ses nuances, ses contrastes et ses contradictions.
- Pour donner la vie.
Trois générations de guadeloupéens - descendants des esclaves noirs, métis, blancs pauvres- , tiraillés entre leur terre magique et misérable et la marâtre métropole, perfide et trompeuse.
Trois générations dont les souvenirs tissent les fragments d'une fresque historique, donnant une caisse de résonance collective et puissante à leurs expériences individuelles.
- Pour comprendre la grande Histoire de l'esclavage, de la colonisation, de l'intégration.
Pour toucher du doigt les péripéties d'une identité et d'une fraternité douloureuses.
Laissez vous charmer par ce jardin-là.
Suivez-en les sentiers perdus dans l'herbe folle.
Le parcours terrien, champêtre , du grand-père, folâtre et fier, généreux et inconséquent,
Les routes aventureuses de la tante Antoine, un peu pirate, un peu maquerelle, un peu sorcière, un peu bigote, inlassable bourlingueuse , marchande aux mille besaces,- un inoubliable personnage de femme!
La trace toute droite de Petit-Frère, le bien nommé, père de la narratrice, altruiste, engagé, qui trouve sa voie en rompant les liens avec religion, superstition, et même famille pour trouver une nouvelle fraternité élargie dans les luttes sociales, l'éducation, l'émancipation.
Et le fin tissage de la narratrice qui, pieusement, recueille et transmet, sans les juger, ces parcours si différents, recréant ainsi une autre Guadeloupe, mythique , pleine de récits devenus légendes, habitée de héros familiers et mystérieux, une terre des origines où elle tente, à chaque vacance, d'inscrire sa vie citadine et métropolitaine, en nouant ses racines à celles des siens.
Nouer, renouer ses racines..
La renouée, cette plante mi- sauvage, mi- décorative, tenace, obstinée, impossible à extirper definitivement - le désespoir des jardiniers rigoristes - est sans doute la plante la plus vivace de ce jardin créole.. .