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EAN : 9782882506986
256 pages
Noir sur blanc (06/01/2022)
3.8/5   33 notes
Résumé :

Les héroïnes de cette saga féminine, dont l'action recouvre le second tiers du xxe siècle en Pologne, sont trois soeurs : Gerta, fiable et sérieuse, Truda, qui cède facilement aux appels du coeur, et Ilda, la rebelle, la fantasque. Leur mère, Rozela, les a élevées seule dans le village cachoube de Dziewcza Góra. Pour survivre à la guerre, puis à la terreur stalinienne, elles doivent apprendre à dissimuler leurs sentiments. L'insensibilité devient leur boucli... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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Après la mort accidentelle de leur père, les trois soeurs Gerta, Truda et Ilda sont élevées par leur seule mère Rozela, dans leur maison d'un village de Cachoubie, en Pologne. Alors qu'aux épreuves de la guerre succède la terreur stalinienne, toutes quatre acquièrent l'habitude de se débrouiller, vaille que vaille. Viendront mariages et enfants, joies et malheurs : rien ne les empêchera jamais de faire bloc, en véritables piliers de la famille…


Commençant par sa piquante scène finale, puis alternant les points de vue de chacune des quatre héroïnes en une myriade de brefs épisodes illustrant leur quotidien sur un demi-siècle, le récit décrit un cycle complet de saisons, en même temps qu'il accumule grands et menus faits de vie comme autant de couches de sédiments ou de cernes d'un arbre, pour restituer l'existence de ces femmes dans la Pologne d'après-guerre et des quelques décennies suivantes. Ces quatre fils de vie s'entrelacent ainsi pour former la même trame linéaire : celle de femmes appliquées ensemble à faire face à l'adversité sans faiblir et en ne comptant d'abord que sur elles-mêmes, les défaillances des hommes – entre surmortalité, inconstance et lâcheté – les ayant habituées à ne les voir endosser que des rôles satellites.


Rien n'est facile pour Rozela et ses filles, mais jamais aucune ne songerait même à se plaindre ou à baisser les bras. A vrai dire, Rozela ne survit aux atrocités subies pendant la guerre qu'en enfouissant les traumatismes au plus secret d'elle-même, et en se jetant corps perdu, tout sentiment bridé, dans la mêlée d'une existence où tout se conquiert de haute lutte, et à condition de savoir faire feu de tout bois. Dans cette Pologne tombée dans le giron soviétique, assurer les fondamentaux de l'existence est une lutte de tous les instants, et c'est au moyen d'une débrouillardise, d'une capacité d'adaptation et d'une endurance de tous les instants que les femmes de la trempe de Rozela assurent le quotidien en tâchant de compenser l'usure ou l'absence de leurs hommes. Cela ne se fait pas sans une certaine forme de brutalité : l'on n'a guère le loisir de s'attendrir, ni de s'appesantir sur soi-même. L'éducation se fait à la dure, et si une solidarité sans faille les unit, l'action chez elles tient lieu de sentiment.


Par nécessité impitoyablement coriaces, à commencer avec elles-mêmes, les quatre femmes de ce récit cachent en leur tréfonds une humanité des plus attachantes. Leur audace et leur inventivité multiplient les épisodes dont l'évidente authenticité ou, parfois, l'allure de légendes familiales, entretiennent l'impression d'une chronique fidèle à ce que l'auteur aurait pu recueillir de la vie de ses mère, tantes et grand-mère. Tantôt dramatiques, tantôt cocasses, ce sont mille détails de l'existence de ces femmes qui parviennent dans ces pages à nous les rendre particulièrement proches et vivantes. Et, en fin de livre, l'on revit cette fois avec tendresse et amusement, la scène initiale qui avait tant piqué notre curiosité de lecteur.


Cette chronique familiale, qui, au travers des menus faits de leur quotidien, parvient avec tant de naturel à faire revivre deux générations de femmes pendant la période communiste de la Pologne, s'avère un témoignage historique que son objectivité et son authenticité, autant que son écriture vive et pleine d'humour, rendent tout à fait passionnant. Coup de coeur.


Merci à Babelio et aux éditions Noir sur Blanc pour cette excellente découverte.

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Les coeurs endurcis ne ressemble guère aux quelques sagas familiales que j'ai pu lire jusqu'à présent. Pas de place pour les crises passionnelles, les trahisons, les débordements d'affection. Martyna Bunda raconte le quotidien ordinaire d'une paysanne de Cachoubie et de ses trois filles, de la grande pauvreté des années 30 à la République populaire de Pologne des années 70 .

Tout se déroule comme si l'auteure était à la fenêtre et observait ce qui se passe. Il n'y a aucun point culminant aucun événement au centre de cette histoire, avec une belle assurance l'auteure polonaise laisse glisser le temps au rythme des saisons autour de nos héroïnes qui le sont que par le regard que porte Martyna Bunda sur elles. Elle chuchote quelques secrets familiaux, les traumatismes de la fin de la guerre et d'autres blessures mais la connivence avec le lecteur ou la lectrice s'arrête là. Elle ne fouille pas les tiroirs pour sonder le fond des âmes de ces femmes qui, portées par la force de leur courage et de leur détermination, ne s'abandonnent guère au commerce des confidences.
Mais on ne retrouve pas pour autant les codes associés au roman rural français : pas de fatalisme appuyé, ni de violence latente, ni encore d'une peinture grise et mutique des personnages. Ici le tragique n'est ni surjoué, ni glorifié parce que l'essentiel est ailleurs, le roman raconte autre chose. Il montre tout ce qui fait l'existence sans que l'on s'en aperçoive : en croisant les récits à quatre voix, en faisant entrechoquer des instantanés qui entrent en résonance les uns avec les autres, Les coeurs endurcis montre comme les vies de ces femmes sont si tissées, si constituées entre elles, malgré les ressentiments occasionnels et les tempéraments contrastés. Face aux mauvaises langues qui voient en la mère une bâtarde, face aux hommes sources de malheurs, et face aux appels de la ville à l'égard des filles qui se soldent par des déceptions, il reste la solidarité ou la sororité selon la nouvelle expression consacrée. le récit met en évidence des liens si forts entre elles qu'ils ne laissent guère de place au monde extérieur, la réalité communiste même si elle moins présente dans le monde rural se devine seulement du coin de l'oeil à travers quelques anecdotes.

Malgré quelques invraisemblances, je me suis passionnée pour ce roman. Non qu'il soit remarquable d'un point de vue littéraire mais il y a un élan qui accompagne chacun des personnages féminins qui éloigne tout sentiment de misérabilisme. Il a par ailleurs réussi à se frayer un chemin dans mon esprit allant jusqu'à susciter des réminiscences familiales. J'y ai vu ma grand-mère polonaise, jeune veuve, aussi, qui a dû élever ses filles seule avec la même abnégation et la même volonté de fer que Rozela dans une maison qui a également servi de refuge pour chacune de ses filles. Rien que pour ça, je remercie Babélio et les Éditions Noir sur Blanc pour cette masse critique privilégiée.
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C'est peu de dire que l'histoire récente de la Pologne n'a pas été un long fleuve tranquille. Champ de bataille où s'affrontent à partir de 1939 l'Allemagne nazie et l'URSS, elle n'est libérée du joug de l'une que pour tomber dans les tenailles communistes de l'autre à la fin de la guerre.
Dans un tel contexte, la population locale ne vit pas, elle survit. C'est le cas de Rozela et ses trois filles Gerta, Truda et Ilda. A partir de la mort de son mari dans les années 30, Rozela les a élevées seule, dans un petit village de Cachoubie, une province polonaise. Elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes, et certainement pas sur les hommes : après la guerre, les filles de Rozela auront bien des maris ou des amants, mais ceux-ci se distingueront davantage par leur manque d'épaisseur, leur faiblesse ou leur lâcheté que par leur courage et leur solidité. Et donc, puisqu'il le faut bien, c'est Rozela et ses filles qui le seront, courageuses et solides, pour traverser chacune à sa manière les épreuves que la vie leur infligera généreusement : hivers glaciaux, manque d'argent, de nourriture, terreur stalinienne et tracas causés par la bureaucratie soviétique, elles se démèneront, ensemble ou séparément, pour vivre décemment. Elles connaîtront des moments de fragilité, d'hystérie ou de désespoir, mais elles ne cesseront jamais de lutter. Sauf peut-être Rozela, quand les traumatismes subis pendant la guerre remonteront à la surface à la fin de sa vie et auront raison de sa... raison.

J'ai eu du mal à entrer dans ce roman et à m'intéresser à ses personnages. La narration alterne les points de vue des quatre héroïnes, et au début, j'ai trouvé l'ensemble un peu décousu, je n'arrivais pas à mettre de l'ordre dans les différentes versions des mêmes anecdotes. Les personnages ne m'apparaissaient pas particulièrement sympathiques mais au contraire plutôt dénués de sensibilité, ne laissant la place qu'à la colère, le ressentiment, le fantasque. Des coeurs endurcis desquels s'échappe parfois une pression trop forte. Puis à partir de la moitié du roman, sans que je comprenne bien pourquoi, peut-être un geste doux par ci, un mot plus tendre par là, j'ai trouvé ces quatre femmes de plus en plus touchantes, attendrissantes, mais forçant toujours le respect par leur courage et leur ténacité.
A travers ces chroniques de la vie quotidienne, ce roman énergique dresse le portrait de deux générations de femmes attachantes, dans le contexte historique trouble et troublé de la Pologne. Un roman tragi-comique qui rend hommage à ces femmes coriaces, victimes de la guerre et des (de certains) hommes.

En partenariat avec les Editions Noir sur Blanc via Netgalley.
#LesCoeursendurcis #NetGalleyFrance
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« Les Coeurs endurcis », c'est avant tout le destin d'une mère et ses trois filles qui vont devenir des femmes.
Cette saga familiale se déroule en Cachoubie, une province polonaise. Tout débute dans les années trente avec Rozela la mère. Ses trois filles, Gerta, Truda et Ilda, elle doit les élever seule après la mort de son mari. Outre ces quatre femmes, l'histoire tourne autour de la maison que Rozela a construite tout au bout du village de la Colline-aux-Vierges.
« C'était l'année 1932, l'hiver. Les murs n'avaient pas encore connu la chaleur. La maison était solide »
Puis la guerre est arrivée avec son lot de malheur, invasion de soldats allemands, puis russes et Rozela qui avant tout a protégé ses filles n'a pu se soustraire à la violence des hommes. Une trace de sang, incrustée dans le plancher en témoigne. Ce terreau d'horreur, de pauvreté et d'incertitudes va modeler les caractères de ces femmes pour lesquelles la vie doit se vivre coûte que coûte. Il faut s'endurcir et museler son coeur.
« Fille naturelle d'une fille naturelle, condamnée à vivre dans un sentiment perpétuel de honte, Rozela gardait la tête haute et enseignait la même chose à ses filles. Noble. Quoique paysanne. Courageuse. Quoique femme. »
De tempéraments différents, les trois filles se battent contre l'adversité. L'ainée, Gerta, la plus raisonnable, se souvient lorsqu'elle était cachée dans la cave et qu'elle entendait les soldats marcher au-dessus de sa tête. Elle admire sa mère, si forte, et l'aide au mieux avec les poules et les cochons.
Truda est l'amoureuse et la rêveuse. Son fiancé est rejeté par sa mère parce qu'il est allemand, elle jette alors son dévolu sur Jan le gitan. Il l'épousera mais elle continuera à demander à son ancien fiancé de lui envoyer de Berlin d'élégantes chaussures à talon.
Des trois soeurs, Ilda la fantasque est la plus rebelle. Vêtu d'une combinaison en cuir, elle conduit un side-car trouvé dans un fossé et se moque du qu'en dira-t-on. Elle aura une liaison avec un sculpteur marié. Il lui offrira des robes couteuses, elle sera son modèle pour une statue gigantesque.
Chacune des soeurs subira des tempêtes, des épreuves, des déceptions. Il y aura aussi des moments heureux, la vie quoi ! Elles connaitront les tromperies et la jalousie des hommes, elles mettront des enfants au monde. Gerta aura trois filles, Truda, deux fils, le sien et l'enfant illégitime de Jan qu'elle élèvera comme le sien lorsque son mari sera incarcéré.
A chaque gros temps, la maison de la Colline-aux-Vierges devient le port calme où se réfugier. Et si parfois les soeurs et leur mère peuvent se montrer impitoyables entre elles, elles finissent toujours par se retrouver grâce à ce lien très fort qui les unit.
La construction très originale du roman nous fait traverser la vie de ces quatre femmes selon les saisons et les évènements qui jalonnent leurs vies. Cela débute par un enterrement et se clôt par la mort de Rozela. L'histoire est découpée en courts chapitres, chacun débutant par le prénom de l'une des quatre femmes, créant un récit dense comme les fils de couleurs différentes qui, une fois tissés, forment une toile serrée, inébranlable comme la solidarité entre ces femmes.
Malgré l'époque troublée, émaillée de drames, le récit n'est pas larmoyant. Il y a une incroyable énergie dans l'écriture de Martyna Bunda et on se laisse emporter par les aventures à la fois tourmentées et drôles de ces « pasionarias » de la solidarité féminine.
Je remercie les éditions Noir sur Blanc et Masse critique de Babelio pour la découverte de ce roman captivant.
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Le roman débute sur une scène qui se passe en 1975, avec un étrange enterrement : trois soeurs accompagnant un cercueil, celui de Tadeusz Gelbert, sculpteur de son état qui fut le compagnon de l'une d'elles, Ilda, mais ne s'est jamais réellement séparé de son « épouse aimante », présente elle-aussi, scène qui nous permet de faire la connaissance de cette famille que l'on va suivre au gré des ans et de l'Histoire.

On entre ainsi dans cette famille étrange, composée de la mère Rozela et de ses trois filles : Gerta, Truda et Ilda, dans leur ferme « La colline-aux-Vierges » située dans le village de Dziewcza Gora.

Rozela, n'a pas eu une vie facile : son mari est mort accidentellement, dans les années trente et on l'a « indemnisée » en lui faisant construire sa maison, la première en « dur » du village. A la fin de la guerre, elle a été violée durant plusieurs jours par des soldats russes qui cherchaient de l'argent, brûlée au fer rouge, ce qui laissera une trace indélébile sur son abdomen. Elle refusera toute sa vie de parler de ce qui s'est passé ce jour-là, se contentant de tenir le fer à repasser à distance et interdire à quiconque de le toucher. Elle veut oublier cette horrible guerre, les nazis, puis les bolcheviks, et reprendre une vie normale.

Une des filles était à Berlin, travail forcé, qu'elle a fui avec un Allemand « résistant » Jakob » mais Rozela a refusé que sa fille épouse un nazi, alors qu'elle-même caché des gens en fuite dans sa cave (Juifs ou non) ce qui n'empêchera pas Truda d'entretenir des liens épistolaires avec lui.

La vie à la ferme n'est pas simple, on manque de tout, mais Jan, un milicien, amoureux de Truda, se débrouille pour leur apporter nourritures, poules, cochons, paons… et finit par l'épouser. Tout ira bien, naissance de leur petit garçon, Jan-Flamme qui multiplie les bêtises… Un jour, elle apprend qu'il a eu un autre fils et en voulant enquêter sur son passé elle attire l'attention de la milice sur lui et direction prison, torture, condamnation après un procès à charge on est à l'ère stalinienne…

Gerta, va épouser un horloger, quelque peu étrange aussi, Edward, le seconder au travail, tout en s'usant les yeux sur les nappes qu'elle brode et vend pour arrondir les fins de mois. de leur union naîtront trois filles.

Ilda, la petite dernière, fait la connaissance d'un sculpteur, avec lequel elle partagera sa vie malgré la présence plus ou moins rapprochée de sa première femme, dont il ne se séparera jamais. C'est Ilda qui gère la maison, puis la maladie, de Tadeusz, narcissique, manipulateur… et ils n'auront jamais d'enfants.

Les trois soeurs tentent, toutes les trois, de vivre leur vie de manière autonome, de travailler, chacune dans leur domaine, mais chaque fois qu'un problème surgit, c'est le retour à « La colline-aux-Vierges » qui sera maintes fois repeinte, réorganisée…

Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
En de rares occasions, elle éprouvait comme un regain de forces. Elle revenait à elle, pour un instant. Elle se remettait alors à distribuer des tâches à chacun. Les carottes devaient être découpées selon un modèle précis, ce que Rozela vérifiait ensuite elle-même ; les casseroles, dans la cuisine, devaient être rangées selon un ordre déterminé. Rozela avait une liste de choses à régler avant sa mort. Et en première place, sur cette fameuse liste, figurait l’achat de sa tenue pour le cercueil. Et, justement, au cours d’une de ces journées où elle sentait revenir un afflux de forces, elle informa Truda d’un ton catégorique qu’elle souhaitait un corsage blanc, une jupe noire et des chaussures noires – maintenant ! Sa fille était ennuyée : où donc pouvait-elle trouver ça ? Les magasins étaient vides, on allait faire ses courses comme on allait à la chasse. Dès que tombait la nouvelle d’une livraison dans un magasin, de longues queues se formaient aussitôt et on prenait ce qui se présentait ; et d’ailleurs, il n’y en avait jamais assez pour tout le monde. Rozela lui demanda d’informer Ilda. Ce que fit Truda, enfourchant à contrecœur le vélo pour se rendre à la poste de Kartuzy et téléphoner à Sopot. Deux jours plus tard, Ilda pointait de nouveau son nez à la Colline. La benjamine des sœurs voulait conduire sa mère chez la couturière. Elle n’allait se déshabiller devant personne, protesta vivement Rozela. À la fin, Gerta proposa d’aller jusqu’à Gdańsk en passant par Kartuzy et Kościerzyna, peut-être qu’elles réussiraient à trouver quelque chose quelque part. Une telle perspective ne réjouit guère Rozela. Elles partirent cependant. La tenue pour le cercueil, c’était le plus important après tout. À Kartuzy, elles ne trouvèrent rien du tout. À Kościerzyna, on vendait des corsages infroissables, mais, de ceux-là, Rozela ne voulait pas : c’était une calamité pire encore que le polymère, le plastique dont étaient faites les fleurs de l’enterrement d’Abram. Elles finirent par dénicher une blouse et une jupe à Gdańsk, dans une espèce de dépôt-vente que les marins fournissaient en vêtements venus de l’Ouest. Pour les chaussures, ce fut une autre paire de manches. L’État populaire prévoyait, pour les défunts dans leur cercueil, des chaussures en carton dont ne voulait absolument pas Rozela. Enfin, dans un quartier portuaire de Gdynia, elles trouvèrent des souliers en cuir noir. Bien que morte de fatigue, tout endolorie après une nouvelle expédition de plusieurs heures en voiture, Rozela était contente. Depuis ce jour-là, tous les vendredis, elle commençait sa journée par le repassage de ses habits mortuaires, elle les aspergeait aussi d’eau d’ortie contre les mites. De temps en temps, le jeudi soir, les filles de Gerta, de plus en plus grandes, mais toutes sosottes encore, des gamines, quoi ! sortaient les habits de Rozela de l’armoire et allaient les cacher dans le jardin, ou au grenier, et elles étaient aux anges lorsque leur grand-mère, paniquée après avoir ouvert l’armoire, poussait des cris et, impuissante, courait à travers toute la maison en pleurant qu’elle n’avait rien à se mettre pour mourir. Rozela avait déjà oublié que ses petites-filles s’amusaient toujours à faire disparaître sa blouse et sa jupe.
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Le village ne se mêlait pas de leur vie d'ermite et, pour leur part, elles évitaient les voisins. Quitte à manger un jour de plus de la soupe d'orties séchées pendant la période de soudure, quitte à se passer de pain de longues semaines, de longs mois. Otylia ne se serait jamais abaissée à quémander. Une jeune fille avec une enfant. Mère d'une petite bâtarde. Non, en aucun cas elle n'aurait donné aux gens un motif de de sentir mieux à ses dépens.
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"Staline est mort!" La radio ne diffusait plus que de la musique funèbre, les magasins étaient fermés, les drapeaux avaient été mis en berne dans toutes les administrations. Les gens ne parlaient plus de rien d'autre. Tout haut, disant que c'était le père de la nation, tout bas, un assassin et un voyou, et qu'enfin peut-être il y aurait un peu de liberté.
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Mais, c’était un travail de moine véritablement. Un tissu fin, des fils, des aiguilles de trois tailles différentes, un dé à coudre, une enveloppe contenant des lames de rasoir. Et avant cela, il fallait : transposer soigneusement le modèle sur du papier buvard, le redessiner à l’infini, de manière à obtenir une symétrie parfaite entre les pétales et les feuilles. Et, plus tôt encore, dénicher les tissus. Combien d’ingéniosité et de ruse nécessitait l’acquisition du tissu.
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Rozela avait une liste de choses à régler avant sa mort. Et en première place, sur cette fameuse liste, figurait l'achat de sa tenue pour le cercueil. Et, justement, au cours d'une de ces journées où elle sentait revenir un afflux de forces, elle informa Truda d'un ton catégorique qu'elle souhaitait un corsage blanc, une jupe noire et des chaussures noires
- maintenant ! Sa fille était ennuyée : les magasins étaient vides, on allait faire ses courses comme on va à la chasse. Dès que la nouvelle tombait d'une livraison dans un magasin, de longues queues se formaient aussitôt et on prenait ce qui se prés entait et d'ailleurs, il n'y en avait jamais assez pour tout le monde.
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