L'auteur annonce d'emblée vouloir ne parler que de ceux qui n'ont pas eu la parole, les non érudits, les non bourgeois, les gens communs ; mais, pour les atteindre, ou pour brosser l'état d'esprit de la société, passe souvent les témoignages des autres. La présentation est plus ou moins chronologique, découpée en thèmes (lieux, types de personnages par exemple).
Pour aller vite, il semble que les moeurs se soient légèrement déliées à la fin du XIXème et jusqu'aux années trente, entre autre sous l'influence de quelques intellectuels audacieux (
Genet,
Gide,
Cocteau,
Proust, Colette), de célébrités mondaines et de la diminution des tensions répressives. Cette diminution des tensions n'aurait cependant permis qu'une plus grande affirmation des individus dans leurs comportements, mais non un affaiblissement de la pression du qu'en-dira-t-on : en gros, faites ce que vous voulez mais tâchez de ne pas vous faire une réputation - quelques personnalités échappent cependant à cette règle. Ainsi, sauf gros scandale, le système judiciaire est plus que tolérant : les personnes arrêtées, y compris en flagrant délit, sous la pression d'une dénonciation soutenue, sont relâchées sans être inquiétées. le reste du temps, les relations gays, sauf si l'un des partenaires est mineur, échappent à la loi. Il semblerait que le lesbianisme soit moins toléré, au prétexte d'une accusation d' incitation à la débauche plus marquée : le lesbianisme est perçue comme une distraction pour vieux messieurs voyeurs. En outre, la masculinisation crée des tensions au sein même du monde lesbien - Colette y voyant par exemple une continuation d'une inféodation au principe patriarcal par la prise du rôle dominant par la « garçonne » plutôt qu'un cheminement émancipatoire féministe auquel elle aspire vers les comportements voluptueux qu'autorise la pratique de l'amour sans les hommes.
De l'autre côté, sans qu'elle élève pour autant la dignité de ceux qui s'en réclament, la féminisation des comportements masculins chez les gays (folles, tantes et travestis) paraît provoquer davantage l'adhésion des opinions pour l'amusement qu'elle provoque. L'auteur souligne aussi avec insistance que la dichotomie hétéro-homo est bien pâle durant les années folles ; ces termes scientifiques n'ayant pas cours au sein d'une population peu encline à suivre les cloisonnements qu'imposent les connaissances et à se laisser guider par elles : on vit, tout simplement, sans se laisser inquiéter par un qualificatif ou un autre, et tel homme et telle femme couche avec qui lui plaît comme cela vient au gré des circonstances et selon son désir.
Il ressort une impression que la médiatisation à grande échelle des mêmes principes théoriques auraient, sous l'influence entre autre de la culture américaine et de l'héritage de l'intransigeance des pensées d'extrême-droite, à partir de la fin des années quarante, figé en principe régulateur des passions qui s'exprimaient plus librement au plus fort de la troisième république. Car cette période libérée que connaît aussi Berlin, et peut-être même à une échelle plus élevée encore, s'achève brutalement par les descentes de police, les réductions des lieux de rencontres dans toute l'Europe dès le début des années trente jusqu'aux fermetures d'établissement avec la mobilisation générale et, à Paris, la débâcle de quarante.
Guidé par des personnages transgressifs mais affirmés tout au long de l'ouvrage dans des récits ou descriptions qui rapportent continûment des situations où la sexualité s'exprime de manière débridée avec la satisfaction du désir pour seul motto, on se plaît à croire à une société contemporaine moins stigmatisante et plus relâchée sur les questions sexuelles et identitaires - avec l'impression que si la tolérance judiciaire s'est évanouie dans une reconnaissance juridique des modes de vie gays et lesbiens aujourd'hui, la morale, elle, autrefois regardante sur les réputation seulement, semble avoir suivi le chemin inverse et s'être durcie par l'insinuation de la censure jusque dans les esprits. Un ouvrage enthousiasmants donc par ce goût de l'auteur qu'il parvient à nous faire partager de la liberté individuelle conçue comme la séduisante expression spontanée du désir plutôt qu'une lutte brutale menées par des scansions de pénibles revendications identitaires.
Il ressort de ces description des lieux de rencontres, des comportements, des soirées, une