Romelle est une fille gentille et docile, pas douée pour la haine, qui après avoir fugué deux fois à l'âge de 16 ans, échoue dans un bouge tel qu'il en existe beaucoup aux Etats-Unis dans les années d'après-guerre. Elle chante en pianotant, se défend contre les attaques masculines “des poivrots bruyants, des peloteurs collants. Gentils comme tout chez eux. Mais des vrais primates dès qu'ils étaient loin de leur foyer pour un congrès ou un voyage d'affaires”. Elle survit à peine dans un logement miteux. A trente ans, elle est déjà usée par la vie, pour elle l'ascenseur social s'est arrêté au sous-sol, elle a fait un stock de médocs pour le jour où elle en aura suffisamment marre pour en finir.
Aussi, quand Jules, un jeune homme timide, pâle, éduqué, aux manières raffinées, descendant d'une riche famille du Mississippi, passionné par les plantes et les animaux, vient chaque soir pour l'écouter en la dévorant des yeux, il n'en faut pas davantage à la jeune fille romantique pour voir en lui le prince charmant. Vite rencontrée, vite épousée !
Dès les premières phrases de ce diamant noir d'une humanité bouleversante, on est embarqué, on aime
Romelle et on voudrait qu'enfin elle soit heureuse, mais malgré ces voeux pieux, le lecteur ressent une sorte de crainte prémonitoire, d'effroi informe. La tension sature l'atmosphère durant la lecture.
W. R. Burnett inocule dans son histoire une puissante et indescriptible sensation de désastre imminent. Dans les scènes conjugales les plus tendres, un verre à la main devant un feu de cheminée en compagnie de ce charmant voisin, le docteur Earl Cameron toujours flanqué de son petit chien, la menace plane, blanche et indicible, sans que l'on comprenne comment l'auteur réussit cette prouesse.
Un roman hélas méconnu, écrit en 1946, qui restera gravé dans ma mémoire. du grand art littéraire, servi par un style économe d'une impitoyable force.