Citations sur Cecilia / Cécile (23)
La première fois qu’elle avait vu le jeune Delvile, elle avait admiré, sans le vouloir, ses manières et sa façon de s’énoncer ; et toutes les fois qu’elle l’avait vu depuis, elle avait toujours remarqué en lui d’autres qualités qui le lui avaient rendu encore plus recommandable. Elle le voyait, le rencontrait avec plaisir, et ne s’en séparait jamais sans désirer de le revoir.
Le lendemain, Cécile prit la voiture de madame Charlton, et alla rendre ses devoirs à milady Marguerite, dont la compagne, mademoiselle Bennet, la reçut avec une politesse basse et rampante ; mais lorsqu’elle se trouva avec la maîtresse de la maison, elle s’aperçut si bien du peu de satisfaction qu’elle avait de la voir, qu’elle se repentit de son attention, et aurait souhaité n’avoir point fait cette visite.
Dans le fond, celui de madame Harrel était honnête, quoique sa vie fût très dissipée. Mariée fort jeune, elle avait passé tout d’un coup de la tranquillité d’une petite ville de province au tumulte de la capitale, et s’était trouvée maîtresse d’une des maisons les plus élégantes de la place de Portman, jouissant d’une fortune considérable, et femme d’un homme dont la conduite lui prouva bientôt le peu de cas qu’il faisait du bonheur domestique. Engagée dans un cercle continuel de sociétés et d’amusements, son esprit qui n’était pas des plus solides, se laissa bientôt éblouir par l’éclat de sa situation ; elle adopta facilement les maximes générales des gens du monde, et n’eut bientôt plus d’autre désir que de surpasser ses égales par sa parure et sa dépense.
Dans ses premières années, Madame Harrel avait été la compagne des jeux de son enfance, et pendant sa jeunesse, sa camarade d’école ; une conformité d’inclinations, fondée sur la douceur des caractères, les avait, de bonne heure, rendues chères l’une à l’autre, quoique leur ressemblance à d’autres égards ne fût plus la même. Madame Harrel, avec moins d’esprit et de bon sens que son amie, ne laissait pas d’être aimable et amusante. Sans être belle, elle plaisait par ses bonnes qualités ; et si elle n’inspirait pas cet amour dont le respect doit être la base, elle faisait au moins naître ces goûts vifs qui en tiennent lieu.
Vers neuf heures, tous les masques se dispersèrent dans les différents appartements. Des dominos qui ne représentaient rien, et des habits de fantaisie qui ne signifiaient pas davantage, formaient, comme cela est ordinaire en pareilles occasions, la plus grande partie de la compagnie : quant au reste, les hommes étaient déguisés en Espagnols, en Turcs, en ramoneurs, en soldats du guet, en sorciers et en vieilles décrépites : les femmes l’étaient en bergères, en vendeuses d’oranges, en Circassiennes, en Bohémiennes, en vendangeuses, en sultanes, etc. etc.
Excédée d’une impudence aussi manifeste, et irritée d’un triomphe que sa grossièreté et son impolitesse avaient si peu mérité, Cécile se fit violence pour ne pas quitter la table, et réfléchit avec peine à l’obligation où elle se trouvait de passer une partie si considérable de sa vie avec des gens pour lesquels elle avait le plus grand éloignement.
- [...] Le caractère d’un joueur, dit M. Monckton, dépend uniquement de sa bonne ou de sa mauvaise fortune ; chaque coup de dé varie son humeur ; il est enjoué, gai, tranquille, bourru ou sauvage, sans que son naturel ou ses principes y aient la moindre part ; il est uniquement gouverné par les caprices du hasard.
Le château parut bientôt plus vivant par l’arrivée de milady Honora Pemberton, qui vint passer un mois avec madame Delvile. Cécile n’eut plus de loisir ; car milady lui laissait à peine un moment ; elle aurait voulu l’avoir toujours à ses côtés, exigeait qu’elle se promenât, se reposât, travaillât et chantât avec elle. Tout ce qu’elle faisait, elle invitait Cécile à le faire aussi ; elle l’accompagnait par-tout où elle allait.
Permettez donc, pour votre information, que je vous signale que le chef d'une ancienne et honorable famille est fondé à se croire supérieur à des personnes tout juste sorties de la poussière et de l'obscurité !
Il est rare que nous prenions conscience des moments de félicité au moment où nous les vivons, tandis que nombreux sont ceux que nous regrettons lorsque le chagrin nous enseigne leur valeur, et le malheur, leur perte.