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Citations sur La maison muette (12)

C'est un réel plaisir que de regarder quelqu'un dormir, d'écouter sa respiration, de se demander à quoi il rêve et ce qu'il se passe dans ses rêves, dans les longs intervalles pendant lesquels l'absence prend le dessus. J'aurais donné beaucoup pour pénétrer son esprit, ne serait-ce qu'une heure pendant son sommeil. Je crois que j'aurais préféré voir ses rêves que ses pensées. Je sentais qu'il y avait là un potentiel, l'éventualité d'une vraie lumière, d'un vrai mouvement , une acuité qui faisait probablement défaut à ses réflexions.
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Cette expérience est maintenant terminée. Elle a pris fin, uniquement pour pouvoir recommencer sous une autre forme. Je sais, si tant est que je sache quoi que ce soit, que c'est là le véritable schéma de notre vie: un enchaînement d'incessantes répétitions, ponctué de variations infimes quoique significatives, qui se déroule au fil des ans. L'expérience avec les jumeaux n'était qu'une simple variation sur le thème d'une existence entière. S'il s'était agi d'un travail conventionnel, je serais en train d'en consigner les résultats, de décrire, dans un langage abstrait, un problème initial, une série d'hypothèses et vérifications, l'issue finale. Tout serait clairement énoncé, en termes scientifiques. Mais il ne s'agissait pas d'un travail conventionnel. Il n'existe aucun moyen de dépeindre cette expérience sans dépeindre aussi tout ce qui s'est passé depuis le matin où je prononçai mon premier mot, voilà trente ans, jusqu'au moment où j'ai fermé à clé la porte du sous-sol en laissant les jumeaux à l'intérieur, désormais réduits au silence, se scrutant l'un l'autre avec cet air de chagrin égaré qui, en fin de compte, rendit l'expérience impossible à continuer. Je branchai la musique avant de quitter la pièce, mais je n'avais toujours aucun moyen de savoir ce qu'elle avait signifié pour eux durant leurs années d'isolement. Une fois dehors, j'approchai l'œil de l'ouverture grillagée pour jeter un dernier regard: ils ne semblaient pas avoir remarqué mon départ. Sans bruit, je les abandonnai à la digestion de leur repas empoisonné, montai voir si Karen allait bien, puis préparai du café et attendis.
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Nul ne pourrait dire que ce fut un choix de ma part de tuer les jumeaux, pas plus qu'une décision de les mettre au monde. Ces événements s'imposèrent l'un et l'autre comme une nécessité inéluctable, un des fils dont est tissée la toile de ce que l'on pourrait appeler le destin, faute d'un mot plus approprié... un fil que ni moi ni personne n'aurait pu ôter sans dénaturer le motif entier. En revanche je décidai de procéder aux laryngotomies, ne serait-ce que pour mettre un terme à leur chant continuel (si tant est qu'on puisse appeler cela un chant), ce hululement qui saturait mes journées et pénétrait mon sommeil par la moindre fissure de mes rêves. Sur le moment, toutefois, j'aurais dit qu'il s'agissait d'un acte logique, d'une étape de plus dans la recherche que j'avais entreprise presque quatre ans auparavant.., la seule expérience éminemment importante que puisse mener un être humain: trouver le siège de l'âme, ce don unique qui nous différencie des animaux ; le trouver en instaurant tout d'abord une carence et ensuite, plus tard, en procédant à une destruction logique et nécessaire. Je fus surpris de la facilité avec laquelle je pus opérer sur ces deux êtres à demi dégrossis. Ils existèrent dans un autre monde : celui des rats de laboratoire, ou l'espace mouvant et dénué de fonction du véritable autisme.
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Ce n’est pas une affaire de prédestination, simplement le libre arbitre et le destin sont des illusions , de faux contraires, des consolations. Finalement, ce n’est plus qu’une seule et même chose : un unique processus. On choisit ce qu’on choisit et ce n’aurait pas pu être autrement : le choix, c’est le destin. Il était là depuis le début, et toutes les autres solutions que l’on aurait pu envisager ne sont qu’égarements ineptes, car il est en notre nature de faire un choix plutôt qu’un autre. Cela c’est l’identité. Parler de liberté ou de destin est absurde car cela sous-entend qu’il existe en dehors de soi-même quelque chose qui dirige notre vie, alors qu’en vérité cela relève de l’essence : l’identité, produit artisanal de l’âme.
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Le leurre et la beauté du langage résident dans le fait qu'il semble ordonner l'univers entier, nous poussant à croire, à tort, que nous vivons à portée de vue d'un espace rationnel, d'une possible harmonie. Mais si les mots nous éloignent du présent, de sorte que nous n'appréhendons jamais vraiment la réalité des choses, ils font du passé une complète fiction. Aujourd'hui, quand je regarde en arrière, je me souviens d'un monde différent: ce qui devait paraître arbitraire et anarchique sur le moment semble parfaitement logique à mesure que je l'expose et pénétré d'une limpidité qui va jusqu'à supposer un but, un sens à la vie. Je me souviens de la campagne qui environnait notre maison avant que ne soient construits les nouveaux lotissements: une obscurité dense, infinie, emplie d'oiseaux à couvert et de houx, gorgée de l'atmosphère des années 50. J e me souviens du vieux village: des enfants passant de maison en maison, vêtus de draps blancs, chantant et riant dans le noir, agitant les bras au passage de notre voiture. Je me souviens de ces mois que je passai ici, seul, après que mère mourut. Le soir, une fois la campagne plongée dans le silence et le calme, j'ôtais mes vêtements et allais, nu, d'une pièce à l'autre, puis sortais dans la fraîcheur du clair de lune pour errer parmi les plates-bandes tel un animal ou quelque envoyé des fées comme il en existait dans les contes de mère. Le jardin est clos de murs: nul ne pouvait me voir, et la maison était si éloignée du village que je n'entendais rien d'autre que les chouettes dans le bois ou le jappement occasionnel des renards loin dans les prés. Je me demandais parfois si j'existais réellement: mon corps semblait autre, nimbé de sa propre odeur pénétrante et suave, une odeur pareille au sommeil, mêlée de Chanci Nº 19 trouvé sur la coiffeuse de mère.
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Les gens comme Jimmy s'imagine toujours plus fort que l'autre, non pas parce qu'ils ont le physique, mais parce qu'ils se croient près à aller plus loin. C'est la règle première des conflits humains : celui qui est prêt a faire le plus de mal, peu importe ce qu'il encaisse lui-même, finira vainqueur. C'est une des qualités qui nous différencient des animaux, cette disposition à faire fi de toute prudence face à un véritable affrontement, la plupart des animaux vont faire des concessions. Les humains sont les seuls animaux prêts à se battre pour remporter une victoire à la Pyrrhus
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j'étais sûr à l'époque, que le langage correspondait au monde, que les vérités essentielles étaient véhiculées par le choix d'un mot : si un mot existait, alors il avait une raison d'exister. Si vagues et frustrantes que puissent être les définitions, le simple fait que toutes les langues disposent d'un mot pour dire "âme" signifiait qu'il existait forcément quelque chose qui correspondait à ce mot.
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À un certain niveau, je compris sans doute toujours à quel point mère était distante, même envers moi. Elle travaillait sans cesse, tel un architecte, à bâtir un édifice d'histoires, à traiter sa vie et la mienne comme un ouvrage de fiction. Je compris qu'elle était absorbée par un exercice, une invention au sens ancien du terme: tout ce qu'elle faisait était contrôlé, chacune des histoires qu'elle racontait était un rituel. Rien ne variait jamais, et j'admirais cela. Notre relation ressemblait à celle du prêtre et de l'enfant de chœur à la messe: elle était le célébrant, moi j'assistais ; nos rôles et offices étaient divinement distribués, par conséquent immuables. À présent encore, je soupçonne qu'elle avait raison: grâce à ses stratagèmes, notre vie était ordonnée. Nous pouvions éviter l'intimité sans nous terrer dans nos chambres comme le faisait mon père ; en usant de rituels et d'histoires, elle créait un terrain neutre où nous pouvions nous retrouver, où tout pouvait être contrôlé, où rien ne débordait jamais les frontières que nous nous fixions.
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Non que je l'en blâme, d'ailleurs. Je l'aimais autant qu'il est possible d'aimer quiconque. Rétrospectivement, j'arrive à voir ses défauts. J'arrive à être détaché, clinique même, dans l'analyse que je fais de notre vie commune ; pourtant, même à présent, je continue de l'aimer. Enfant, j'étais ébloui par la présence de cet être merveilleux, cette femme qui avait fait de sa personne un si bel objet qu'elle-même s'arrêtait parfois pour admirer son propre reflet dans un miroir ou une vitre voilée d'obscurité. Enfant, on aime qui on peut. Mon père était timide envers moi, mal à l'aise, retranché dans un cocon, craignant toujours que je m'immisce on ne sait comment et que je le touche. Je crois qu'il avait davantage peur de moi que de mère: il était obsédé par une possible violation, par l'idée de passer pour celui qui s'ingérait entre nous, aussi endossa-t-il le rôle que mère lui avait assigné, celui du mari invisible.
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Cela fait un drôle d'effet à présent, ce silence. Peut-être était-ce ce que j'attendais depuis le début, ce que je voulais. C'est plus qu'une absence de bruit. C'est quelque chose que j'ai mérité: à présent je comprends que sans cela, je n'aurais pu envisager le présent récit. Je devais en connaître la fin avant de l'entreprendre. À présent, je peux commencer par le commencement, quand mère, avec ses belles toilettes, vient tous les soirs dans ma chambre me lire des histoires, mère avec ses perles et ses robes somptueuses, tel un de ces parasites exquis qui contaminent et envahissent leur hôte, sans jamais aller jusqu'à le détruire tout à fait... et qui même, en l'occurrence, créent l'illusion d'une symbiose naturelle, d'une réciprocité nourricière. On ne peut se retenir d'admirer une telle élégance.
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